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RÉSEAU SOCIAL SOLIDAIRE

Les défis de la Cour pénale internationale

Source : Amnesty International
- par Benoît Guillou

01/06/2012

La création de la Cour pénale internationale permanente représente une avancée considérable en matière de justice internationale. La Cour peut engager des enquêtes et des poursuites pour les crimes les plus graves lorsque les autorités nationales ne peuvent ou ne veulent pas le faire. Le point après dix ans d’activités et le procès de Thomas Lubanga. Enquête.

La Haye, 14 mars 2012, vêtu d’une tunique et d’un calot blanc traditionnel, Thomas Lubanga est resté impassible à la lecture du jugement prononcé contre lui par les juges de la Cour pénale internationale (CPI). La chambre constituée de trois juges a conclu à l’unanimité, « au-delà de tout doute raisonnable », que l’ancien chef de milice de la République démocratique du Congo est coupable de crime de guerre pour l’enrôlement et la conscription d’enfants de moins de quinze ans. Au début des années 2000, Thomas Lubanga dirigeait l’un des six groupes armés actifs dans la richissime région minière de l’Ituri (province au nord-est du pays). Ce tout premier verdict rendu par la Cour est salué par les Nations unies, l’Union européenne et les États-Unis comme un moment historique et une victoire pour la cause des enfants soldats. La sentence sera délivrée prochainement, l’accusé fera-t-il appel ? Pour l’heure, il a regagné sa cellule de la prison de Scheveningen à moins de vingt minutes de la Cour en compagnie de Jean-Pierre Bemba, Laurent Gbagbo et Germain Katanga.

Les tensions internes sont rapidement perceptibles au sein de la nouvelle institution : l’affaire Lubanga s’apparente à un véritable feuilleton judiciaire, elle laisse un goût amer et soulève des questions importantes pour l’avenir. Transféré à La Haye en mars 2006 (grâce à la coopération des autorités congolaises et un avion affrété par l’armée française), son procès s’ouvre le 26 janvier 2009 pour s’achever le 26 août 2011. Un procès qui a eu du mal à démarrer.


Un feuilleton judiciaire

En juin 2008, alors qu’il devait commencer, les juges ordonnent sa suspension en raison de l’incapacité de l’accusation à dévoiler certaines informations à la défense. Les Nations unies, en effet, refusent que soit levée la confidentialité sur des documents remis au procureur sous le sceau du secret. Ils finiront par céder. Janvier 2009, second coup de théâtre, le premier témoin de l’accusation se rétracte à l’ouverture du procès affirmant avoir menti aux enquêteurs. Juillet 2010, les juges ordonnent la libération de l’accusé suite au refus du procureur de divulguer l’identité de l’un de ses « intermédiaires » chargé d’aider les enquêteurs de l’accusation à trouver des témoins en Ituri. La chambre d’appel sauve in extremis le procureur mais Catherine Mabille, l’avocate principale de Thomas Lubanga, dénonce de « graves dysfonctionnements » et le recours à ces « intermédiaires ». Selon l’avocate française, neuf anciens enfants soldats présumés auraient menti à la Cour. En mars dernier, lors du jugement, la chambre de première instance épingle le procureur sur la qualité de ses enquêtes : douze témoignages considérés comme « non crédibles » sont rejetés (neuf présentés par le procureur, trois par les représentants des victimes). « La chambre est d’avis que l’accusation n’aurait pas dû déléguer aux intermédiaires ses responsabilités en matière d’enquête, quels que fussent les problèmes de sécurité auquel elle devait faire face », estiment les juges.

Sans le professionnalisme et le travail réalisé plusieurs années durant par Jean-René Ruez, commissaire de police français à la tête du groupe d’enquêteurs sur les massacres de Srebrenica, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie aurait-il été en mesure d’accumuler autant de témoignages, d’indices et de preuves pour confondre les coupables ? Qu’en est-il à la CPI ? On pourrait s’étonner qu’il ne soit pas possible de connaître le nombre d’enquêteurs professionnels au Bureau du procureur.

Selon un rapport de la FIDH, ils seraient une quarantaine ce qui paraît dérisoire face au nombre de dossiers en cours dans des pays fortement polarisés, déchirés par des divisions profondes ou encore en situation de conflit. Si des tribunaux ad hoc ont été mis en place pour juger les principaux responsables des crimes sur un pays donné (en ex-Yougoslavie, au Rwanda ou au Cambodge), la CPI, elle, a vocation à devenir universelle. Elle enquête actuellement dans sept pays africains.

Toujours au sujet de l’affaire Lubanga, les ONG expriment trois critiques récurrentes : la portée limitée des accusations qui ne reflète pas l’ampleur des crimes, notamment les violences sexuelles ; l’absence d’enquêtes complémentaires pour remonter la chaîne de commandement au-delà des chefs de guerre locaux et cerner le rôle joué par le Rwanda, l’Ouganda et les autorités de Kinshasa dans la création, le soutien et l’armement des milices pour s’emparer des richesses de la province ; le fait que Bosco Ntaganda (l’ancien bras droit de Lubanga) passe à travers les mailles du filet malgré un mandat d’arrêt de la CPI délivré en 2006. L’ex-rebelle se déplace désormais au vu et au su de tous dans le Kivu, les autorités de Kinshasa le considérant comme un « partenaire dans le processus de paix ». N’a-t-il pas été promu général des Forces armées régulières ? En mars dernier, le président Kabila se déclare néanmoins prêt à l’arrêter mais pas pour le remettre à la CPI.

Restrictions budgétaires

La tâche du Bureau du procureur apparaît particulièrement délicate. D’une part, il lui faut obtenir la coopération des États parties notamment pour arrêter et déférer les personnes sous le coup d’un mandat d’arrêt (11 fugitifs sont toujours en liberté). D’autre part, il doit défendre une justice impartiale ce qui suppose de poursuivre les auteurs des crimes commis par toutes les factions, c’est-à-dire être capable de s’« attaquer » aux gouvernements dont il dépend en matière de coopération. Une équation difficile à tenir alors que la CPI ne dispose pas de sa propre force de police. Une justice s’invente en direct à La Haye, l’affaire Lubanga a généré une jurisprudence importante et éclaire des aspects pratiques du travail de la Cour, la structure administrative est désormais établie, on compte 700 salariés. Soulignons que ce type de procédure respectant les normes internationales d’un procès équitable prend du temps : l’accusation et la défense ayant le droit d’exposer et de défendre à « armes égales » leur position.

En l’espace des deux dernières années, la charge de travail de la CPI a pratiquement doublé. Au cours de l’année 2011, trois procès se sont déroulés simultanément, de nouvelles enquêtes ont été ouvertes en Libye et en Côte d’Ivoire. Or, lors de l’Assemblée des États parties en décembre dernier à New York, les représentants des États dans un contexte de crise mondiale ont refusé d’adopter le budget proposé par la Cour pour l’année 2012. Ils entendent le limiter à 100 millions d’euros annuels. Cette demande de « croissance zéro » suscite de vives inquiétudes aussi bien auprès du greffier que de la Coalition mondiale des ONG pour la CPI. Ces contraintes financières ne contribuent pas à améliorer l’ambiance générale. Des règles formelles strictes président en effet entre les différents organes de la Cour afin de respecter la confidentialité sur les affaires en cours.

Chaque étage correspond à un organe : sans badge magnétique dont disposent les salariés, il n’est pas possible d’ouvrir la porte d’accès. Toutes ces barrières électroniques évoquent un univers carcéral. Les échanges entre les parties se passent en salle d’audience et au moment de se séparer, la défense part de son côté, quant aux membres de l’accusation et ceux des chambres, ils veillent à prendre l’ascenseur séparément. Au cours d’une journée ordinaire, il arrive que des salariés de différentes parties se retrouvent inopinément dans l’ascenseur, dans ce cas on parle du temps, et heureusement, il pleut souvent à La Haye… Les règles de confidentialité sont prises très au sérieux, « ça tourne parfois à la parano » reconnaît une personne qui préfère rester dans l’anonymat.

Dix ans après son entrée en fonction, nul besoin de cacher que la Cour traverse une période critique. Au mois de juin, la Gambienne Fatou Bensouda succédera à l’Argentin Moreno-Ocampo pour devenir procureur général pour une durée de neuf ans. Si des membres du personnel considèrent : « Essuyer les plâtres », d’autres, font preuve d’un pragmatisme à toute épreuve, « Il faut bien commencer par un bout et ne pas oublier d’où l’on vient, il y a de cela vingt ans, il n’existait aucune institution pour lutter contre l’impunité ». Enfin, certains, ne cachent pas leur scepticisme. Sans un soutien politique et financier des États parties, la CPI n’est qu’un tigre de papier.

Benoît Guillou

En un coup d’œil

Pourquoi la CPI a-t-elle été créée ?

La CPI a été créée en vue d’ouvrir des enquêtes, de poursuivre et de juger des personnes accusées d’avoir commis les crimes les plus graves, à savoir le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. La politique pénale du procureur consiste à se concentrer sur les individus portant la plus lourde responsabilité dans ces crimes sans tenir compte de leur éventuelle qualité officielle.

A-t-elle vocation à remplacer les tribunaux nationaux ?

La CPI ne se substitue pas aux systèmes nationaux de justice pénale : elle ne peut intervenir que si l’État concerné n’a ni les moyens ni la volonté d’assumer ses responsabilités. Il s’agit du principe de complémentarité qui vise à donner la priorité aux systèmes nationaux. Les États gardent la responsabilité première pour juger ces crimes les plus graves.

Comment est-elle financée ?

Par les contributions des États parties et celles volontaires de gouvernements, d’organisations internationales, de particuliers ou d’entreprises. Le budget annuel de l’année 2011 s’élève à 117 millions d’euros, un montant certes élevé mais à titre de comparaison, plus de 560 millions de dollars (424 millions d’euros) ont été investis au cours de la même période dans les tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone et les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens.

Sept pays en attente d’enquête

Sept situations – la Colombie, l’Afghanistan, la Guinée, le Honduras, le Nigeria, la Géorgie et la Corée du Sud – attendent la décision du procureur de demander ou non l’autorisation d’ouvrir une enquête. Certaines situations, notamment celles de la Colombie et de l’Afghanistan, font l’objet d’un examen depuis plusieurs années.



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