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RÉSEAU SOCIAL SOLIDAIRE

La Bolivie après la grève de la faim d’Evo Morales

Source : RISAL collectifs / le 4 mai 2009
- par Pablo Stefanoni

La voie vers la réélection d’Evo Morales est enfin dégagée après l’approbation par le Congrès d’une nouvelle loi électorale permettant la tenue des élections du 6 décembre prochain. Pour ce faire, le chef d’État bolivien a dû endurer cinq jours de grève de la faim, appeler de nouveau à une mobilisation sociale et, finalement, accepter diverses revendications de l’opposition. Celle-ci a utilisé sa majorité au Sénat [1] pour faire entrave à la loi adaptant le régime électoral à la nouvelle constitution ratifiée par référendum, en janvier dernier, avec 62% des votes [2]. Ainsi, Morales remettra son poste en jeu, à un an de la fin de son mandat qui a commencé en janvier 2006 suite à son triomphe en tant que premier président indigène du pays, avec le résultat inédit de 54% des votes, le pourcentage le plus élevé dans l’histoire démocratique bolivienne récente.


Une campagne permanente

Le chef d’État bolivien a couvert les négociations avec l’opposition d’un langage belliqueux – une bataille « entre le peuple opprimé et l’oligarchie » - voire religieux, en dépit de leur coïncidence avec la première Semaine sainte sous l’Etat laïque instauré par la nouvelle constitution : « Je comprends qu’en d’autres temps, le Christ a sacrifié son corps pour le salut d’autres… Evo et les dirigeants sociaux offrent leurs corps en témoignage de sacrifice », s’est enthousiasmé le vice-président Alvaro García Linera, après l’abandon par l’opposition des sessions parlementaires, laissant ainsi sans quorum un Congrès demandant un nouveau registre électoral et la réduction du nombre de circonscriptions spéciales pour les indigènes, une forme de discrimination positive en faveur des peuples originaires qui, en raison de leur faible densité démographique, ne parviennent pas à accéder au Congrès.

Comme cela se passe depuis un certain temps, le timing des mobilisations sociales s’est adapté aux besoins du Palacio Quemado [le palais présidentiel], dont la stratégie au jour d’aujourd’hui, vise à garantir la réélection d’Evo Morales et l’obtention de la majorité aux deux chambres du parlement. Une fois le signal lancé par l’exécutif, plus d’un millier de militants et de dirigeants sociaux ont organisé des piquets de jeûne sur tout le territoire bolivien. Dans les années 80 déjà, le président nationaliste de gauche de l’époque, Hernán Siles Zuazo avait fait une grève de la faim pour tenter de contrecarrer une vague de protestations qui en peu de temps mirent fin à son gouvernement.

« Avant, [il y avait] des grèves de la faim contre la dictature militaire [3] aujourd’hui [il y en a] contre les restes du modèle néolibéral », a proclamé Morales après l’approbation par le Congrès de la loi, qu’il a présentée comme un triomphe populaire, même s’il a accepté l’élaboration d’un nouveau recensement, la réduction des circonscriptions indigènes de quatorze à sept, et certaines limitations pour le vote à l’étranger, tout cela incorporé dans la nouvelle constitution, qui sera mise en œuvre de manière progressive.

Le président bolivien a ensuite donné le coup d’envoi de ce qui sera une très longue campagne électorale : « D’abord ils ont essayé de nous battre dans les urnes et ils n’y sont pas parvenus, ensuite avec des coups d’Etat et des conspirations, et maintenant ils essayent de bloquer les élections. Il nous faut gagner en décembre avec 70% pour qu’il n’y ait plus de chantage de la part de la droite », a-t-il ajouté devant quelques centaines de sympathisants, qui répondaient « 90% ».

Et même s’il a indiqué que « gouverner est la meilleure forme de faire campagne », il est évident que la bataille électorale favorise des mesures d’exécution rapide et de fort intérêt politico-médiatique dans un contexte de crise extérieure et d’énormes difficultés pour viabiliser la politique de nationalisation des hydrocarbures Cette dernière a été entravée par un dense réseau de corruption tissé par Santos Ramírez, ex-président de l’entreprise pétrolière publique, ex-homme fort du Mouvement vers le socialisme (MAS), et aujourd’hui détenu dans la prison de San Pedro. Cette affaire montre les risques de retomber dans le vieil étatisme patrimonial et clientéliste. La polarisation – par moment artificielle – de tout conflit avec l’opposition, rendue possible par le climat de campagne électorale permanente – crée une illusion de radicalité politiquement productive pour le gouvernement - et pour la toute jeune bureaucratie syndicale paysanne et ses prébendes de l’État – qui en définitive rend nécessaire la recréation périodique de la sensation de menace interne et externe au processus de changement, pour maintenir le climat de mobilisation. Si le harcèlement de la « droite raciste » a pu freiner certaines initiatives gouvernementales, il a aussi contribué à la cohésion des troupes elles-mêmes. Et à défaut d’institutions capables de réinventer le lien entre le politique et le social, l’evismo a remplacé progressivement l’horizon utopique du gouvernement des mouvements sociaux.

Les accusations d’infiltration de la CIA au cœur de la compagnie pétrolière publique YPFB, comme explication de la plus prosaïque corruption de ses fonctionnaires, n’est qu’un chapitre de la longue histoire des accusations de conspirations. Mais aujourd’hui, avec l’opposition fortement fragilisée, les risques semblent davantage venir de l’intérieur que des ennemis du « gouvernement populaire ».

Une victoire à la Pyrrhus

Malgré tout, pour l’opposition, ce qu’elle a obtenu s’apparente à une victoire à la Pyrrhus. Ses problèmes pour mettre Morales en échec sont loin de n’être qu’un problème de recensement électoral. La ratification du leader cocalero avec 67% des votes lors du référendum du 10 août 2008 a été un coup difficile à digérer. « La droite est très dispersée et désarçonnée. Tous les sondages placent Evo Morales au dessus de 40%, alors que le candidat de l’opposition le mieux placé ne dépasse pas les 9% », explique le sénateur dissident du parti de droite Podemos, Carlos Börth. Dans un contexte d’absence de leaders nationaux, la figure montante de ces derniers mois est celle de l’ex vice-président aymara Víctor Hugo Cárdenas, dont la maison a été « expropriée » il y a quelques jours par les indigènes de sa communauté sur les bords du lac Titicaca, pour avoir appelé à voter « NON » à la Constitution. Même une partie des dirigeants de Santa Cruz [bastion de l’opposition] mise sur la carte indigène du centre contre « l’indigénisme radical » d’Evo, comme reflet du changement d’époque : l’année dernière, la droite a pris comme candidate pour le gouvernement du département de Chuiquisaca l’indigène Savina Cuéllar, ex-membre de l’assemblée constituante pour le parti d’Evo Morales et alphabétisée grâce au programme « Yo sí puedo » de l’actuel gouvernement, qui a finalement battu le candidat du MAS. Et l’opposition autonomiste de Santa Cruz intègre généralement des consignes en guarani, et souligne la présence de ses propres indigènes lors de ses concentrations.

Cela dit, le passé de Cárdenas comme vice-président lors du premier mandat de Gonzalo Sánchez de Lozada (1993-1997) – aujourd’hui en fuite aux Etats-Unis et accusé pour la répression durant la guerre du gaz de 2003 - semble être un élément difficile à mettre en avant au moment de faire face à Morales, qui jouit jusqu’à présent d’une popularité à toute épreuve dans le monde populaire bolivien. D’autres « indigènes », tels que le maire de Potosí, René Joaquino, ou l’ex-dirigeant paysan des vallées de Cochabamba, Alejo Véliz semblent encore avoir moins de chances.

Aujourd’hui, même si elle est parvenue à faire en sorte que l’on recommence le recensement électoral dans tout le pays, le prix à payer est élevé pour la droite. Le gouvernement l’accuse d’être responsable d’une dépense inutile dans un pays pauvre : le coût du nouveau recensement s’élève à quelques 35 millions de dollars. Et les sympathisants du gouvernement ont profité au maximum de la sensation selon laquelle « les députés et les sénateurs ne travaillent pas » pour sanctionner les congressistes qui ont abandonné les sessions. « L’oisiveté est leur offre électorale ; la paresse et le boucan leur programme de gouvernement », a lancé García Linera, vice président de la République mais aussi président du Congrès en pleine crise de la Semaine sainte.

L’opposition régionaliste est toutefois parvenue à une reconnaissance tacite de ses statuts autonomistes, en plus d’avoir réussi à imposer – depuis un certain temps – son agenda autonomiste à tout le pays. Le 6 décembre, on revotera dans les cinq départements (La Paz, Oruro, Chuquisaca, Potosí et Cochabamba), où en 2006 l’avait remporté le « Non » à l’autonomie, afin d’aligner ces régions au nouveau dessin autonomiste ébauché par la nouvelle constitution – considéré en tout état de cause comme insuffisant par la bourgeoisie agro-industrielle de Santa Cruz. « La partie de savoir comment sont composées les assemblées législatives départementales, comment on sélectionne et comment sont élus les députés et les gouverneurs, a été reprise des statuts autonomistes, copiée et collée à la loi électorale. A ce qu’il semble, il y a un accord entre les proches du gouvernement et l’opposition pour vivre ensemble les prochaines années. Le MAS se comporte comme n’importe quel autre parti », a commenté au quotidien Página/12, Eulogio Núñez, de l’ONG Centro de Investigación y Promoción del Campesinado.

A partir de maintenant, la balle est dans le camp de la Cour nationale électorale, qui devra recenser à nouveau plus de quatre millions de Boliviens, y compris les quelques 300.000 vivant à l’étranger - avec un registre biométrique incluant la digitalisation de la signature, de la photo et des dix empreintes digitales de chaque votant. Et quoi qu’il en soit, 2009 sera dans la droite ligne des trois années d’élections permanentes qui les unes après les autres ont confirmé la grande hégémonie d’Evo Morales, et ont renversé le « ballottage catastrophique » [4] dont a souffert son mandat au cours des premières deux années et demi. Notes :

[1] [RISAL] Le parlement bolivien est bicaméral. La majorité au sénat est contrôlée par l’opposition au gouvernement, ce qui complique la mise en poeuvre de la politique gouvernementale.

[2] [RISAL] Lire Pablo Stefanoni, Un vote qui montre une fois de plus une Bolivie divisée en deux, RISAL, 28 janvier 2009.

[3] Une référence aux femmes mineures qui eurent recours à ce moyen contre le dictateur Hugo Banzer à la fin des années 70.

[4] [NDLR] « Tant que l’antagonisme entre les deux blocs en lutte pour le pouvoir ne se résout pas, on est dans une étape de ‘ballottage catastrophique’ entre les deux forces en conflit qui, dans le fond, sont deux proto-hégémonies qui ne réussissent pas encore à anéantir ni à construire une hégémonie, un leadership politique et intellectuel de caractère national. C’est pourquoi, par moment, on assiste à des épreuves de force qui cherchent à briser cet équilibre instable. »
Extrait de Alvaro Garcia Linera, Bolivie : la seconde bataille pour la nationalisation du gaz, RISAL, 23 septembre 2005.



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