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Lettre du comité Jean-Pascal Couraud à Rachida Dati

Source : Rue 89 / Le 20 juin 2007

Madame la garde des Sceaux,

Nous avons l’honneur de nous adresser à vous pour attirer votre attention sur une affaire qui revêt un caractère tout à fait particulier, par la nature même des faits supposés et par les acteurs qu’ils impliquent.

Notre démarche vise surtout à vous informer plus directement de la situation telle qu’elle est vécue aujourd’hui, afin notamment de vous sensibiliser sur le fort besoin de justice et de vérité éprouvé non seulement par la famille et les amis de Jean-Pascal Couraud, mais aussi par de très nombreux Polynésiens, qui souhaitent tout particulièrement, dans cette affaire, pouvoir compter sur un travail juste et efficace de l’institution judiciaire, à l’abri de toute pression.

Au mois d’octobre 2004, Vetea Guilloux, employé au GIP (Groupement d’intervention polynésien, service administratif de Polynésie française aujourd’hui dissous), affirmait que Jean-Pascal Couraud, disparu en décembre 1997 dans des conditions jamais élucidées, avait été torturé puis noyé au large de Papeete, le corps lesté de parpaings, par des salariés du GIP agissant sur ordre de leur hiérarchie. Jean-Pascal Couraud, ancien journaliste, conduisait au moment de sa disparition un travail d’investigation sur plusieurs affaires mettant en cause certains hommes politiques au pouvoir.


Ses investigations inquiétaient et l’on sait maintenant qu’il faisait l’objet d’une surveillance et d’une filature par ce même GIP au moment de sa disparition. Ayant obtenu en comparution immédiate, quelques jours après ses déclarations, la condamnation de Vetea Guilloux à une peine de prison ferme pour déclarations mensongères et dénonciation calomnieuse, le ministère public avait refusé de considérer ces révélations comme des charges nouvelles qui auraient permis la réouverture de l’information initiale, pourtant jamais régulièrement clôturée.

Face à l’insistance de la partie civile relayée par la presse et appuyée par un comité de soutien réunissant famille, amis et sympathisants, une nouvelle plainte pour des chefs d’assassinat et complicité avait finalement pu être déposée en décembre 2004, afin de permettre la reprise de l’instruction sur les conditions de cette disparition.

Quant à Vetea Guilloux, le jugement en appel le condamnant pour déclarations mensongères et prononçant un sursis à statuer sur le caractère calomnieux de ses déclarations fut finalement cassé. Il attend donc aujourd’hui un nouveau jugement.

Alors que l’enquête sur la disparition de Jean-Pascal Couraud se poursuit, nous continuons à recueillir, jusqu’à ces derniers jours encore, des déclarations spontanées de diverses personnes proches du milieu des GIP venant nous confirmer, parfois de manière très précise, la réalité de son assassinat par une équipe du GIP.

Mais il s’avère que la peur empêche aujourd’hui ces divers témoins d’aller jusqu’au bout de leurs déclarations, notamment lorsque celles-ci doivent être effectuées dans le cadre officiel de l’enquête. Ces propos qui nous sont rapportés s’expliquent par diverses raisons.

D’abord par le fait que les auteurs présumés de cet assassinat auraient eux-mêmes parlé à plusieurs reprises et à diverses personnes de leur entourage professionnel ou familial des actes qu’ils avaient commis, permettant finalement que ceux-ci, décrits avec une terrible précision, soient racontés ensuite à des personnes extérieures.

II semble d’ailleurs qu’au sein des équipes du GIP, comportant de nombreux ex-délinquants recrutés en sortie de prison, cet assassinat était parfois évoquée, d’une manière ou d’une autre, comme un fait d’armes susceptible d’être répété, notamment sous forme de menaces directes à l’encontre d’agents, sachant que la violence physique était utilisée à l’occasion au sein même de ces équipes.

D’autres révélations proviennent directement ou indirectement de salariés ou ex-salariés du GIP, qui auraient vu Jean-Pascal Couraud avec certains de leurs collègues au moment des faits, et qui seraient donc des témoins directs de certains moments de la séquence "enlèvement - interrogatoire - embarquement à bord d’une baleinière", s’étant déroulée en fin d’après-midi et dans la soirée du 15 décembre 1997 dans Papeete et dans les locaux du GIP situés dans le port de Papeete.

Enfin, l’avocat qui travaillait avec Jean-Pascal Couraud au moment de sa disparition nous a révélé qu’en 1997, ils disposaient tous deux d’informations très sensibles concernant des transferts financiers de Polynésie française vers le Japon, au profit de Jacques Chirac. Cet avocat affirme avoir lui-même fait l’objet de pressions, à tel point qu’il avait jugé prudent de cesser tout travail sur cette affaire.

Mais Jean-Pascal Couraud était connu pour être incontrôlable ; il avait l’intention d’utiliser ces informations et cela se savait.

Ces affirmations s’appuyant sur des éléments très précis, nous avons naturellement demandé que cet avocat soit entendu dans le cadre de l’enquête, espérant que des investigations sérieuses pourront être menées sur ce point. Au vu de toutes les informations en notre possession aujourd’hui, nous sommes totalement convaincus de la réalité de cet assassinat, comme quasiment toutes les personnes ayant une connaissance précise du dossier.

Toutefois, nous savons que l’instruction comporte des difficultés sérieuses compte tenu de la nature et de l’ancienneté des faits. Néanmoins, nous voulons encore garder espoir que le maximum sera fait pour que les auteurs et commanditaires de ces actes, dans leur terrible réalité, puissent être jugés comme il convient, et nous vous demandons d’être le garant d’un bon fonctionnement de la justice dans cette affaire.

Connaissant votre volonté de renforcer la confiance des citoyens envers l’institution judiciaire, nous vous prions d’agréer, Madame la garde des Sceaux, l’expression de nos hommages les plus respectueux.

Teiva Couraud, Françoise Dreuilhe, André Couraud, Sylvie, Philippe et Olivier Couraud

Comité de soutien pour la recherche de la vérité sur la disparition de Jean-Pascal Couraud

RP 4106 Vaiare, 98728 Moorea, Polynésie française , Papeete

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