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RÉSEAU SOCIAL SOLIDAIRE

Mondialisation des moyens de communication et démocratie au Mexique

Source : Peuples Monde / 05/09/2005
- Par Rodolfo Bórquez Bustos

Un peu d’histoire

Depuis 1929 et jusqu’en l’an 2000, le Mexique a été gouverné sans interruption par un parti autoritaire : le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). À l’origine, ce parti s’appelait Parti national révolutionnaire (PNR), il s’est ensuite converti en Parti révolutionnaire mexicain (PMR), et finalement en PRI. Son grand mérite est d’avoir pacifié et « institutionnalisé » la révolution.

Pour ce faire, il a regroupé tous les principaux acteurs du soulèvement de 1910-1920, c’est-à-dire les chefs militaires /caciques /de différents villages et régions ainsi que les dirigeants politiques des syndicats et des mouvements paysans naissants. Puis, il les a organisés en un unique parti de masse : le PNR. Ses membres se sont alors fait appeler « la famille révolutionnaire » et sa promesse était de mener à bon port les aspirations de la révolution, dont les objectifs principaux étaient d’atteindre la justice sociale et de défendre l’identité nationale.

Sachant qu’au Mexique plus de 50 millions de personnes vivent aujourd’hui dans la pauvreté, que l’OCDE a déclaré en novembre dernier que 20 millions de Mexicains travaillent dans le marché informel - comme vendeurs ambulants survivants grâce à un revenu de misère -, et que 20 millions de plus ont dû immigrer aux Etats-Unis pour de raisons économiques, on peut conclure que la Révolution mexicaine n’a pas beaucoup servi en termes de justice sociale. La « famille révolutionnaire » est en grande partie responsable de cet échec. Son gouvernement s’est en effet caractérisé par la corruption, les excès, le despotisme et la toute puissance du parti.


Les dirigeants se sont enrichis impunément et le PRI s’est transformé avec le temps en un parti totalitaire et d’État, qui a donné naissance à un système politique anti- démocratique, corporatif, sans pratiquement aucune opposition politique réelle et dans lequel a prédominé une culture citoyenne de la peur et du clientélisme. Une des principales caractéristiques de ce système est le pouvoir illimité dont jouissait le Président de la République, lequel gouvernait presque comme un empereur. On raconte que lorsqu’il demandait l’heure à ses subordonnés, ceux-ci répondaient : « l’heure que vous voudrez, Monsieur le Président ».

Les médias de masse

Pendant toute la période du totalitarisme « PRI-iste » - soit pendant plus de 70 ans -, les médias de masse ont été entièrement contrôlés et dirigés par l’État. Le contrôle s’exerçait à travers le ministère de la Communication et des Transports, chargé de donner les autorisations, les concessions et d’octroyer les fréquences. Le ministère de l’Intérieur surveillait, pour sa part, l’action des médias à travers le monitoring et en faisant pression de différentes façons pour qu’ils soient favorables au système et pour qu’ils s’autocensurent.

En octobre 1968 à Tlatelolco, les étudiants ont manifesté pacifiquement pour réclamer le respect des droits individuels et la libération de leurs camarades faits prisonniers pour des raisons politiques. L’armée, sur l’ordre du président Gustavo Díaz Ordaz, a réagi en massacrant plusieurs centaines de manifestants. Le lendemain, les médias de masse n’ont pas dit un mot sur cet événement scandaleux et se sont limités à donner des informations sur les préparatifs des Jeux olympiques qui devaient se dérouler dans le pays.

L’opinion publique a également été bouleversée, en mai 1984, au moment de l’assassinat du journaliste Manuel Buendía qui a été criblé de balles dans son bureau par un tueur à gages envoyé par José Zorrilla, chef de la Sécurité nationale de l’Etat. Il semble que ce journaliste ait découvert une information - qui serait par la suite publiée dans la presse nord-américaine - sur la richesse illégale que le président de l’époque, Miguel de la Madrid, avait en Suisse.

Ces 70 années ont été dominées par une entente entre les médias et l’Etat. Celui-ci donnait aux entreprises privées les permis- concessions qu’elles voulaient, à condition qu’elles parlent bien des gouvernants. Quant aux médias publics, ils ne posaient aucun problème dans la mesure où ils étaient dirigés par l’Etat. Pour satisfaire les journalistes partisans du gouvernement, l’Etat les payait mensuellement comme des fonctionnaires publics.

Bien entendu, il y avait quelques rares cas de résistance culturelle : le cinéma social réalisé au Mexique par l’Espagnol Luis Buñuel en est un exemple. Par ailleurs, lorsque le pays a exigé une liberté plus grande et une démocratie plus solide, de nouveaux journaux sont nés : c’est le cas de Uno más uno (dans les années 70) et de La Jornad (dans le milieu des années 80).

Ces journaux touchaient des problèmes de caractère politique et social et émettaient - dans la mesure du possible - de légères critiques sur la classe dirigeante. Ce sont les médias électroniques qui resteront les plus soumis et donc, les mieux traités par le pouvoir du gouvernement.

Néolibéralisme et « télécratie »

Le modèle néolibéral a commencé à être appliqué au Mexique à partir de la fin des années 80, et dans une certaine mesure cela coïncide avec le processus de réforme politique amorcé dans les années 70 et qui a permis à divers groupes de gauche d’être légalisés. Ces partis, rassemblés autour de Cuautemoc Cárdenas, ont gagné les élections présidentielles en 1988 ; pourtant, la victoire leur a été arrachée par le PRI dans une fraude énorme qui a finalement mené Carlos Salinas de Gortari (PRI) au pouvoir.

Le néolibéralisme a obligé le Mexique à s’ouvrir économiquement à la compétition et à abandonner petit à petit le protectionnisme nationaliste et étatique qui avait dominé pendant de nombreuses années. La première étape du processus a culminé lors de la signature et de la mise en application en 1994 du Traité de libre- échange (ALENA). Les médias n’ont pas échappé à ce processus qui les a mis en compétition sur le marché. Peu à peu, ils se sont soumis aux grands monopoles, en particulier aux médias électroniques. L’Etat s’est alors défait de la plupart des entreprises publiques, les vendant au plus offrant. C’est de cette manière que les principaux moyens de communication de l’Etat ont été vendus.

D’autre part, le processus démocratique a permis aux médias d’avoir plus de liberté et d’indépendance vis-à-vis de l’Etat, et de façon plus générale vis-à-vis des partis politiques. Malheureusement, 96% des Mexicains consomment majoritairement de la télévision commerciale. Celle-ci, étant soumise aux lois sauvages de la compétition, produit principalement des programmes de commérages et de divertissements de qualité médiocre.

Les deux plus grandes chaînes mexicaines de télévision commerciale - Televisa et Teleazteca - représentent 95% des fréquences, et ont des proportions similaires d’audience et d’annonces publicitaires. Televisa contrôle 80% de ces pourcentages. On parle donc, au Mexique, de « bipolarisation télévisuelle ». La force atteinte par la télévision dans l’opinion publique mexicaine est d’une telle envergure qu’aucun homme politique ne prend plus de décision sans consulter ou prévoir l’impact qu’elle aura à la télévision. Par ailleurs, le président Fox et les leaders politiques participent à des programmes comiques vulgaires ou à des divertissements qui frôlent la stupidité pour la simple et bonne raison qu’ils ont une forte audience.

Curieux paradoxe : on est exactement à l’opposé de ce qui se passait il y a quelques années. L’État - et la classe politique en général - est contrôlé et soumis aux intérêts des télévisions commerciales à tel point que l’on parle de « télécratie ». Elles sont devenues les juges et bourreaux suprêmes de la nation, elles peuvent faire triompher ou, au contraire, ruiner un homme politique. D’ailleurs, les politiques craignent plus aujourd’hui l’influence de la télévision que la loi.

Le village planétaire et le succès de Televisa

Toujours complaisante envers le régime autoritaire, Televisa - dont le principal actionnaire est aujourd’hui Emilio Azcáraga Jean - a fait partie du système politique et a été favorisée par celui-ci. La richesse accumulée tout au long du XXème siècle par cette entreprise de la communication pour les « services prêtés » au gouvernement a atteint des chiffres astronomiques.

Cela a favorisé l’implantation de la chaîne dans le marché mondial des télécommunications et du divertissement et lui a permis de devenir l’industrie culturelle de langue espagnole la plus importante du monde. Voici quelques chiffres qui permettent de se faire une idée de la place de cette multinationale de la communication dans le marché national et international. 8 Mexicains sur 10 regardent une des trois chaînes nationales de Televisa. L’entreprise possède 10 stations de radiodiffusion et ses stations de radio recouvrent la totalité du territoire mexicain. Elle est propriétaire de deux équipes de football, du stade Azteca d’une capacité de 120 000 spectateurs, d’une compagnie de production cinématographique, de studios de doublage.

C’est la maison d’édition de magazines en espagnol la plus grande du monde. Elle produit de la musique et est la compagnie qui produit le plus de programmes télévisuels en espagnol. Par exemple, elle double ses propres séries télé et les exporte dans plus de 55 pays. Elle a 338 stations de radio en Espagne et possède une part ou la totalité des actions des télévisions au Pérou, au Chili, en Argentine et aux Etats-Unis.

Elle a pratiquement acheté le prestigieux Festival De Viña del Mar, au Chili, ce qui lui donne le privilège de diffuser l’événement partout dans le monde. Avec l’entreprise brésilienne O’Globo et le groupe nord-américain News Corporation, elle a créé en 1997 un centre de télévision par satellite qui couvre tout le continent américain. Cette association a permis d’avoir une offre de 250 chaînes et a réussi à créer un monopole régional de télévision payante.

Televisa constitue donc un paradigme dans la compétition globale du domaine des télécommunications. Il n’y a pas de pouvoir légal national ou international qui puisse intervenir dans la qualité de sa production et de sa programmation, ni dans ses affaires. L’unique loi qui régit Televisa est celle de la compétition, établie par les forces aveugles du marché et dont l’objectif est d’obtenir le plus grand bénéfice possible.

Pour atteindre cette fin ultime, l’entreprise n’a pas hésité à produire massivement des programmes de divertissement faciles, vulgaires et vides de tout contenu éducatif ou culturel. Elle contribue donc à la dépolitisation des citoyens et à la diffusion d’une télé-poubelle, promotrice de valeurs telles que la surconsommation ou l’individualisme.

Il faut enfin ajouter à cette situation lamentable d’inculture télévisuelle globalisée, que le Mexique est envahi par la production discographique, les vidéo-clips, le cinéma fantastique et la comédie légère nord-américains, ce qui ne contribue pas non plus au développement éducatif et culturel du pays.



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