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RÉSEAU SOCIAL SOLIDAIRE

L’actualité et l’avenir du corps préfectoral

Source : ASMP (Académie des sciences morales et politiques)
- Paul BERNARD

24 août 2005

J’éprouve une joie réelle à parler d’un thème qui m’est cher, d’une fonction qui s’identifie à ma vie. C’est donc sur la base d’une expérience administrative, vécue sur le territoire, et des convictions qui me tiennent à coeur, que je vais tenter de cerner " l’actualité et l’avenir du Corps Préfectoral ", dans la perspective et l’esprit du thème des réflexions de votre Académie consacrés en l’an 2000 au rôle et à la place de l’Etat au XXIème siècle.


Le corps préfectoral est une originalité française qui suscite de la curiosité, en raison de la longévité de l’institution, car elle a traversé les régimes les plus divers et une interrogation sur sa pérennité, car elle est souvent mise en question comme une exception anachronique dans l’Europe contemporaine.

On peut parler en effet d’une énigme préfectorale. L’œuvre napoléonienne de l’an VIII peut-elle encore avoir un sens aujourd’hui à l’heure des idées reçues de la mondialisation et de la décentralisation ? Le personnage préfectoral intrigue les observateurs, par son caractère paradoxal qui trouble son image : est-il le plus politique des administrateurs ou le plus administratif des politiques ? La puissance qui lui est attribuée cache mal la fragilité de sa position soumise au bon vouloir du gouvernement ? Est-il un phoenix sans cesse renaissant dans les cendres des crises institutionnelles ou bien un mutant s’adaptant à l’évolution sociale ? En 1982, on a fait croire qu’il était auparavant tout puissant, ce qu’il ignorait, et qu’il devenait impotent, ce qui s’est révélé une illusion d’optique.

En fait, la célébration du bicentenaire de l’institution (février 1800-2000) renouvelle cette interrogation sur l’avenir, avec d’autant plus d’acuité que notre etat est en crise dans une société en mutation. La sagesse africaine nous rappelle que lorsqu’on ne sait plus où on va, il importe de se demander d’où on vient. Si la loi du 28 Pluviose an VIII a prescrit que le préfet serait " seul chargé de l’administration ", ce n’était pas pour consolider un pouvoir mais pour assurer une mission : celle que Lucien Bonaparte, Ministre de l’Intérieur, définissait comme un trait d’union entre la révolution et la paix entre les Français : " le gouvernement ne veut plus, ne connaît plus de partis et ne voit en France que des Français. "

C’est donc bien l’utilité commune, au sens de la déclaration des droits de 1789, qui fonde la légitimité du préfet, et non pas quelque statut corporatiste. C’est le service rendu à la République qui a justifié le choix de Jean Moulin pour unifier les mouvements de résistance. C’est bien le préfet Erignac que d’odieux assassins ont choisi pour cible afin d’empêcher la cohésion de notre nation autour de la République.

C’est pourquoi la fonction préfectorale est la seule fonction publique que le Constituant de 1958 a voulu définir avec précision en lui confiant " la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif, du respect des lois " : c’est à dire l’union de l’ordre républicain et du rassemblement civique autour des intérêts communs. Telle est la mission du représentant de l’Etat, délégué du gouvernement , sur le territoire de la République.

Ce rôle de trait d’union permet de caractériser l’évolution préfectorale d’abord dans l’histoire institutionnelle des relations entre le pouvoir et le peuple, ensuite aujourd’hui dans l’action publique autour de la convergence sur l’intérêt général, enfin demain entre l’organisation de l’Etat et l’adaptation à la vie de la société. Ce lien nous inspire une réflexion en trois phases : Hier : le rappel de la longue marche historique et inachevée, Aujourd’hui : le combat contemporain pour l’intérêt général Demain :l’élan pour la réforme.I - Une longue marche historique pour relier le pouvoir et le peuple L’évolution des institutions reflète l’histoire de notre peuple dans ses problèmes, ses aspirations et ses mœurs. Le représentant du pouvoir central se situe au cœur de ces tendances profondes et de ces évolutions. Le peuple est introuvable, a-t-on dit, mais le préfet, les élus et les citoyens représentent une société incarnée à échelle humaine.

1 - Une constante dans la conception du pouvoir d’Etat On ne peut pas oublier qu’ " il y a 1000 ans la France prit son nom et l’Etat sa fonction " (selon la formule de de Gaulle). Notre Etat a créé et donc précédé la Nation, en construisant l’unité des Français par un assemblage progressif de provinces, de villes à partir d’un " agrégat inconstitué de provinces désunies ". Il faut d’emblée souligner la différence fondamentale avec les Etats fédéraux européens, constitués il y a à peine un siècle, et que les esprits, imprégnés de l’air du temps, voudraient nous imposer comme un modèle de l’Etat moderne. Le produit d’une longue histoire devrait nous libérer des complexes mal fondés.

a) Les gouvernements de la France ont toujours poursuivi trois objectifs qui sont autant de forces d’accompagnement de la cohésion sociale. la conciliation entre l’unité nationale et les libertés publiques, notamment les libertés locales la proximité des réalités humaines et locales par la liaison entre le pouvoir central et le territoire la coopération, finalité suprême, qui consiste à faire travailler ensemble les Français, et à relier les individus, toujours tentés par les querelles gauloises, dans l’effort collectif vers l’oeuvre commune. En effet, notre spécificité française a une conséquence malheureuse qui nous différencie d’autres pays.

En France, les individus et les collectivités locales renvoient sur l’Etat le soin de veiller aux intérêts nationaux, ce qui explique que tout appel de l’Etat au partage des responsabilités est considéré comme un transfert de charges qui contrarie le pré-carré des intérêts locaux. Le concours à l’intérêt national n’est donc ni naturel ni spontané. Il doit être sollicité, expliqué, parfois même négocié.b) La réponse à cette anomalie civique et aux objectifs poursuivis a de tous temps été la même à travers les régimes. La solution de l’équation, c’est l’intermédiation de l’envoyé en mission sur le territoire, bénéficiant de la confiance intuitu personae, placé dans la main du pouvoir central, doté de pouvoirs délégués, vivant au milieu de la population, pour faire le lien entre l’intérêt général de la communauté française et les intérêts particuliers et locaux.

On note une sorte de lignée de serviteurs fidèles de cette mission : depuis les missi dominici, les maîtres des requêtes départis pour l’exécution des ordres du roi, " les intendants de police, justice, finances ", les représentants en mission de la Convention, les préfets de l’empire et de la République, jusqu’aux commissaires de la république lors de la libération du territoire en 1944 et aux préfets de la Vème République.

Ces personnages si différents ont pourtant un air de famille : ils apportent un visage personnalisé au pouvoir, ils humanisent les rapports publics, en traduisant les attentes, en transmettant les aspirations, en conciliant les intérêts. Ils ont une double légitimité : l’intérêt national commun à tous et la protection des populations, y compris à l’égard des féodalités en tous genres, toujours renaissantes. Ils contribuent à la paix et au bien public. La déconcentration renoue avec cette tradition en confiant au préfet des pouvoirs de représentation et de décision au nom des ministres.

Avec le préfet déconcentré, renouvelé comme missionnaire de la République, la France contemporaine a trouvé un moyen original pour concilier l’Etat unitaire et la Nation décentralisée, sans recourir au système fédéral dont l’effet centrifuge serait très dangereux pour notre pays. En France, l’Etat prend sa source et sa légitimité dans la Nation (unitaire) et non dans un contrat avec et entre les collectivités locales (fédéral).2. Le représentant de l’Etat s’inscrit dans la logique d’un mouvement de l’histoire de France a) Il est possible de faire apparaître un processus d’évolution selon trois phases d’une même trajectoire.

- Une longue période multiséculaire de centralisation, dans l’Ancien Régime, sous la Révolution et avec Napoléon, a fait naître laborieusement l’Etat-Nation, identifié à un peuple, un territoire, une langue, sous l’égide du bien commun du royaume puis de l’unité nationale. Une progression lente a œuvré pour la décentralisation, favorisant des pouvoirs accordés aux collectivités locales, dans l’esprit des franchises royales accordées aux villes :

sous la 3ème République, avec les lois du 10 août 1871 sur le conseil général et du 5 avril 1884 sur la commune, sous la 4ème République avec la Constitution de 1946 transférant l’exécutif départemental du préfet au Président du conseil général (disposition non appliquée), sous la 5ème République, en 1969, le Général de Gaulle a proclamé que " l’effort multiséculaire de centralisation " n’était plus nécessaire et devait faire place au ressort régional.

Enfin, 1982 a été marqué par les lois de décentralisation qui ont constitué, sans rupture, l’aboutissement d’une longue évolution et un nouveau départ pour la libre administration des collectivités locales.

La Vème République en 1958 a développé un nouveau mouvement complémentaire vers la déconcentration et vers la coopération des collectivités territoriales à l’administration du territoire, dans une sorte de synthèse des mouvements précédents.

b) On a assisté depuis 1958 à une dialectique entre la décentralisation et la déconcentration, évoluant de façon solidaire, comme un couple de forces. Plus on décentralise pour faire progresser les libertés locales, plus on déconcentre pour permettre au préfet d’assurer l’unité nationale sur le territoire, en vue de favoriser un dialogue responsable de décision, au plus près des réalités locales et humaines et pour le meilleur service rendu au moindre coût à tous les citoyens. L’évolution multiséculaire a-t-elle atteint son stade ultime dans la logique du système français actuel ?

La succession des textes illustre ce phénomène : La Constitution de la Vème République solidarise dans deux alinéa du même article 72, d’une part la libre administration des collectivités locales, d’autre part la mission du délégué du gouvernement.

La loi du 2 mars 1982 portant droits et libertés des collectivités locales a été suivie par les décrets du 10 mai 1982 précisant les pouvoirs déconcentrés du représentant de l’Etat.

De même, la loi du 6 février 1992 sur l’administration du territoire de la République a été suivie également par le décret du 1er juillet 1992 portant charte de la déconcentration, qui est devenu par la force de la loi, le droit commun de l’administration.

Le rythme des réformes a obéi à cette dialectique d’entraînement. De même que l’anarchie révolutionnaire des municipalités de canton avait entraîné l’institution du préfet parmi les " masses de granit " de Napoléon, de même les années récentes ont été marquées par un enchaînement entre l’unité et la liberté.

Après les décrets de 1964 accentuant la déconcentration préfectorale, le besoin de régionalisation décentralisée a donné lieu au projet de 1969 qui a connu l’échec du référendum. Aussitôt après, l’établissement public régional de 1972 a répondu à l’attente des élus et une nouvelle étape de déconcentration a été marquée par la programmation des crédits de l’Etat classés en catégorie I (national) et en catégories II (régional) et III (départemental), confiées au préfet de région ou de département.

Enfin, la décentralisation de 1982 a provoqué une progression marquée de la déconcentration. Le dernier état a été illustré par les décrets du 20 octobre 1999 qui confirment la déconcentration comme la règle de droit commun de la répartition des attributions et des moyens entre les échelons des administrations civiles de l’Etat et qui ajoute aux préfets des pouvoirs d’organisation des services déconcentrés. Il s’agit de parachever un mouvement engagé et d’empêcher tout retour en arrière.3. L’évolution de la fonction préfectorale a suivi les changements de la société, en démontrant sa capacité d’adaptation aux besoins de la Nation.

a) La nature de la fonction a reflété les mutations politiques et sociales sans que la mission de service soit modifiée. Ainsi l’agent politique de l’empereur ou le promoteur du régime républicain a fait place à l’administrateur représentant de l’Etat. Le lien d’allégeance s’est transformé avec la professionnalisation d’un métier et d’une carrière, dans la loyauté au gouvernement de la république, sans exigence d’attache au parti politique majoritaire. Ce résultat, acquis au terme d’un long processus, caractérise une heureuse exception française sans équivalent dans les pays étrangers. Le serviteur de la Nation s’est vu confier des missions de médiation sociale, dans un comportement d’ouverture œcuménique, auprès de toutes les composantes de la société. Ainsi l’homme politique du pouvoir a fait place à l’homme de l’Etat au service public et puis à l’homme de la Nation trait d’union entre les citoyens, les élus et le gouvernement.

Enfin, le représentant de l’Etat-membre de l’Union européenne, agent territorial de l’Europe a la charge nouvelle et supplémentaire de mettre en œuvre les politiques nationales et communautaires, de contrôler le respect de la légalité selon le droit européen, et de gérer les fonds communautaires.

b) Cette évolution s’est développée en fonction d’événements déterminants qui ont projeté le préfet en première ligne de l’action publique sur le territoire, conformément à la prise en compte des priorités de la Nation.

La crise sociale, caractérisée par le chômage, l’exclusion, la pauvreté, les inégalités, a placé le préfet au cœur de la solidarité en faveur des plus déshérités atteints par la détresse sociale ou par la pathologie des quartiers urbains.

Les troubles à l’ordre public résultant des violences urbaines, du terrorisme, des risques naturels ou industriels de sécurité civile, ont souligné la mission prioritaire du préfet garant de l’ordre et de la sécurité, particulièrement dans la crise d’ordre public.

Les atteintes aux équilibres naturels ont fait du préfet le défenseur de l’environnement et la corruption des moeurs publiques a souligné la priorité à donner au contrôle administratif de la légalité.

La crise civique de contestation ou d’indifférence par rapport à l’intérêt général a incité le préfet à réanimer les circuits de participation à la chose publique : en particulier la perte de confiance subie par les corps intermédiaires (syndicats, collectivités, associations) provoque un vide civique.

La crise politique, donnant lieu aux alternances électorales et à la cohabitation, a fait évoluer le comportement du préfet, partagé entre l’attentisme et l’engagement politique.

Quant à l’évolution de l’administration territoriale, accentuée par la décentralisation et par l’incidence croissante des directives européennes, elle a provoqué une adaptation du préfet au nouveau rôle de l’Etat. En 1982, avec le transfert de l’exécutif des départements, on a voulu changer le titre, mais le commissaire de la République est vite redevenu préfet parce que sa fonction d’Etat était confirmée et non modifiée.

c) On assiste à un paradoxe surprenant, à propos de la fonction préfectorale. D’une part l’institution du préfet est de plus en plus contestée par le jeu des idées, dans l’air du temps, découlant des prétendus modèles européens, du libéralisme ambiant, de la décentralisation mal comprise, de la déréglementation, de la dictature du marché. D’autre part, dans le même temps, les gouvernements et l’opinion ne cessent de charger les préfets de toutes les missions prioritaires : la sécurité publique, le contrôle de légalité, la lutte contre les pollutions, le combat pour l’emploi, la paix dans la ville, la sécurité routière, la chasse, l’immigration clandestine, le logement social, la mixité sociale, etc...

On a l’impression que les pouvoirs publics confient aux préfets le soin de trouver sur le territoire les solutions que le pouvoir central est incapable de dégager ou d’imposer au plan national. Devant cette évolution, quelque peu désordonnée, parce que privée de directions claires, et encombrée de priorités mêlées et concurrentes, on invente alors un nouveau terme pour définir la mission d’un Etat incertain, qui s’éloigne pour prendre de la hauteur et de la distance, celui de régulation.

Il s’agit d’une nouvelle forme d’autorité qui assure la compatibilité de décisions multiples et la conformité de tous à la logique de l’action publique. Mais cela peut aussi constituer une manière insidieuse d’affaiblir l’Etat au profit de nouvelles ambitions. - En conclusion, on s’aperçoit que les profondes et successives mutations intervenues au cours de notre histoire, ancienne et récente, auraient pu, ou dû, avoir raison de l’institution du préfet, si elle avait été circonstancielle. En fait son maintien, non pas pour des motifs corporatistes, mais pour une raison majeure et supérieure d’intérêt public, démontre que la fonction de préfet est certes un métier qu’on apprend, mais pour qu’elle ne se confond pas avec ce métier.

C’est une mission nationale dont la plasticité n’est pas le moindre mérite, qui s’enracine dans la société et s’incarne dans des hommes. Si le préfet, ni napolénonien ni caméléonien, a pu traverser ces épreuves d’adaptation incessante, sans être vraiment le même ni tout à fait un autre, c’est qu’il répond pour la France à un besoin des pouvoirs publics et des citoyens. En allant plus au fond, on peut dire que cette fonction vit au rythme de la société, parce que, au delà de la compétence professionnelle, la mission exige de son titulaire une vocation de service et une mystique de république.II - Le combat contemporain pour l’intérêt général Ce défi appelle une convergence des pouvoirs publics et des citoyens dans l’action.

Aujourd’hui, le préfet subit le contrecoup de la crise sociale, il est au cœur de la recherche d’un Etat mieux adapté à ses missions, et il modèle son comportement pour être en phase avec cette période historique de transition que nous vivons. C’est bien toujours le même besoin de trait d’union auquel la fonction s’efforce de répondre.· 1. La crise de l’Etat, qui exprime celle de la société, crée un contexte de destabilisation, et l’intérêt général sacrifié en fait les frais.

· la dérive des moeurs, résultant de l’individualisme, de la corruption, de la perte d’autorité, éloigne de la chose publique · les institutions sont à leur tour ébranlées, par le procès instruit contre l’Etat, par le vent mondialiste qui transporte le libéralisme et le fédéralisme, par les courants contraires de l’intégration et de l’autonomisation. · la collusion entre le pouvoir, l’argent et l’image médiatique creuse l’écart entre l’intérêt général et les citoyens, tandis que l’action politique, en porte à faux, laisse la place au gouvernement des juges et à la dictature des médias.

Il semble même que cette situation nouvelle enregistre une aggravation accélérée.2. L’Etat est à la recherche d’un nouvel équilibre et son représentant préfectoral participe au mouvement, dans trois directions. Au lieu de perdre les repères de base à travers les critiques du plus ou moins d’Etat, on peut orienter les réflexions sur les dimensions de l’Etat moderne, qui doit être essentiel, territorial, partenarial, et non forcément modeste. a) Représentant de l’Etat essentiel, c’est à dire en charge des responsabilités dont il ne peut pas s’exonérer, le préfet, délégué du Premier Ministre et de chacun des ministres, est chargé de veiller sur le territoire aux intérêts nationaux et d’y associer le plus grand nombre de responsables et de citoyens.

Ces missions essentielles correspondent aux priorités de la Nation, exprimées par le gouvernement et par le législateur et confèrent au préfet des attributions primordiales.

Gardien de la règle de droit, le préfet assure, dans sa circonscription, la sécurité et le respect des lois. L’ordre public républicain, entendu comme l’ordre de la loi et des libertés, ne se limite pas à l’absence de troubles et au rétablissement du droit, car il a surtout pour finalité de mettre en place les conditions de la paix civile, c’est à dire les équilibres économiques et sociaux, notamment l’emploi et l’insertion, qui garantissent l’harmonie des relations sociales.

Cette mission première est symbolisée par les feuilles de chêne et d’olivier entrelacées que le préfet porte sur les parements de son uniforme et qui rappellent la force de l’ordre et la paix de la République. Ce symbolisme résume le cœur de la fonction préfectorale au service du bien public.

Partenaire des acteurs économiques, particulièrement du secteur privé des entreprises, le préfet contribue à l’animation du développement en vue de l’emploi, et, à cet effet, il doit se préoccuper autant que possible de lever les freins, de rendre intelligibles les procédures, de réduire les formalités administratives, de soutenir l’effort des acteurs économiques.

Protecteur des citoyens les plus faibles, en raison des handicaps et des blessures de la vie, le représentant de l’Etat a une mission de solidarité, pour faire converger l’ensemble des politiques de compensation des inégalités et des exclusions vers l’objectif de cohésion sociale. En ce sens, comme l’Etat, il tient les deux bouts de la chaîne de l’unité, l’encouragement des plus performants et la solidarité envers les défavorisés.

Pionnier de l’Etat stratège, le préfet est un acteur principal de l’avenir du pays, sous l’angle de l’espace, pour conduire les procédures d’aménagement du territoire et de la réalisation des grands ouvrages d’utilité publique, et au regard du temps long, pour animer la planification régionalisée et contractuelle (dont le contrat de plan est la meilleure illustration).b) Représentant de l’Etat territorial, par opposition à l’Etat central, le préfet, de nature interministérielle, personnifie une position antijacobine, contrairement à une idée reçue faisant du préfet un agent de la centralisation.

Par la déconcentration, il est dépositaire de l’autorité de l’Etat sur le territoire, en région ou en département. La déconcentration présente trois avantages : d’abord correctif de la centralisation, ensuite corollaire nécessaire de la décentralisation, enfin, et de plus en plus, moteur et levier de la réforme de l’Etat. La déconcentration dépasse le simple pouvoir de représentation juridique et confère au préfet des attributions administratives, ministérielles et un pouvoir effectif de décision, engageant par sa signature tous les ministres de l’Etat, y compris sur le plan financier. La globalisation des enveloppes de crédits d’Etat et les contrats entre l’Etat et les collectivités locales concrétisent l’ambition française d’un Etat administrant le territoire par les collectivités locales décentralisées et par les services déconcentrés (selon les termes mêmes de la loi du 6 février 1992 sur l’administration du territoire de la République).

- Comme délégué du Premier Ministre et de chacun des ministres, le préfet a la direction de l’action des administrations civiles de l’Etat. Il est à la tête du réseau de l’Etat sur le territoire, chargé de coordonner et d‘animer les grandes politiques publiques, d’adapter l’organisation des services et de les entraîner vers le meilleur service public.

A l’échelon régional, le préfet de région a la responsabilité stratégique de contribuer au croisement des politiques nationales, des directives européennes, des actions régionales, des initiatives locales, comme chef de l’équipe des préfets dans la région, et du collège des chefs des services déconcentrés, en concertation étroite avec le président du conseil régional et les autres exécutifs locaux élus. Le contrat de plan Etat-région et le document unique de programmation de l’Union européenne traduisent concrètement cette responsabilité opérationnelle sur le territoire même.c) Bien entendu, malgré le caractère personnalisé de sa responsabilité, le préfet ne saurait agir seul pour accomplir sa mission. Au sein d’un Etat partenarial, il appelle le concours des composantes de la Nation pour se retrouver ensemble sur les chantiers des actions publiques. Vis à vis des collectivités locales, le préfet entretient des relations permanentes de contrôle de légalité pour encourager la veille sur l’Etat de droit, de dialogue confiant, et d’action concertée ou contractualisée.

Avec les entreprises et les associations, la gestion déléguée de service public et les concessions réalisent le partage des responsabilités dans le partenariat public-privé. Serait-il possible que l’ensemble des cadres dirigeant de la Nation, qu’ils soient publics ou privés, élus, fonctionnaires, ou responsables d’entreprises, acceptent de reconnaître leur solidarité et de contribuer à la promotion des intérêts généraux de nos concitoyens ?

3. Pour parvenir à cette convergence, le préfet pratique un art et une manière qui lui sont propres. a) L’autorité de l’Etat dont il est dépositaire, il l’exerce comme un service et non comme un pouvoir de domination. L’esprit doit être celui de l’étymologie : l’auctoritas est ce qui permet d’augmenter, d’accroître, de faire grandir (à la différence de l’imperium qui contraint). Le représentant du gouvernement n’est pas un agent d’exécution, il dispose d’une marge d’appréciation de l’opportunité, d’ajustement équitable aux situations réelles, en vue d’une valeur ajoutée. L’autorité démocratique déléguée par le peuple souverain a besoin de deux compléments : le dialogue et le partenariat. Le dialogue permet d’écouter, de comprendre et de faire comprendre. Il prépare et enrichit la décision. Le partenariat accompagne la mise en application de la décision.

L’autorité se manifeste d’abord par la décision. Le dialogue et le débat public ne peuvent servir d’alibi. Egalement la médiation, l’arbitrage et la régulation sont des formes d’autorité que la démocratie exige de plus en plus. b) Le style est aussi bien celui de la décision que de la magistrature d’influence. En effet, la personnalité est essentielle. Le préfet donne un visage à l’Etat et il enrichit la fonction par la dimension humaine. Chaque préfet peut tailler son uniforme à la mesure de sa personnalité. La coopération est l’objectif constant du préfet qui cherche à faire travailler ensemble des acteurs différents et qui souvent s’ignorent ou se combattent. Trois stades traduisent cette coopération : la consultation ou le recueil d’avis, la concertation ou la mise au point d’un projet collectif, la contractualisation ou la mise en commun d’objectifs, de moyens. L’évaluation des résultats apprécie enfin l’efficacité de l’action et inspire les réformes. L’attitude du préfet a changé depuis le temps où il était exécutif du département et faiseur de compromis. Aujourd’hui, il est médiateur dans les conflits sociaux, animateur du développement local, entraîneur pour l’emploi, chef de l’administration, négociateur des contrats de plan et surtout décideur pour l’Etat. Cela exige une forte implication personnelle, la création de liens de confiance, un effort permanent de communication.

En définitive, pour mener à bien ce métier, le missionnaire de la république doit avoir la passion de l’Etat et de la chose publique, ainsi que l’amour de la population, afin de n’appartenir à personne et d’être au service tous. En sera-t-il toujours ainsi ?III - C’est le moment crucial d’un nouvel élan pour relever le défi de la réforme et pour actualiser les valeurs civiques. Le représentant de l’Etat a la mission d’adapter les textes et les institutions à la vie de la société. 1. Quel est l’avenir du corps préfectoral après 200 ans d’évolution dans la continuité ? La question, au demeurant, n’a pas d’importance, car ce corps n’en est pas un et le corporatisme n’a pas lieu d’être. En effet, n’ayant aucune garantie statutaire ou syndicale, l’institution préfectorale ne repose que sur la confiance du gouvernement et sur le besoin des citoyens. C’est le service rendu qui légitime le maintien de la fonction préfectorale.

Il y aura des préfets tant que le peuple et son Etat auront besoin de décideurs déterminés, d’intermédiation dans une société complexe et divisée en elle-même, d’humanisation face à la loi du marché et à l’imbroglio des structures et des procédures, de flexibilité pour tenir compte des réalités par rapport à la loi. En fait, il s’agit d’un besoin d’intelligence administrative. Le jour où les élus locaux prendront spontanément leur part dans la gestion des intérêts nationaux, où les citoyens se comporteront en gardiens de la loi et de l’ordre, où chaque responsable public ou privé contribuera à l’œuvre collective où la morale individuelle rejoindra la moralité collective, alors on n’aura nul besoin d’un trait d’union entre l’individu et l’organisation sociale. Mirage ou utopie ?

Paul BERNARD

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