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1936 : Front populaire un moment d’exceptionSource : Politis
Des vélos sur les routes estivales, des familles découvrant la mer... Ces belles images renvoient aux mesures les plus emblématiques du gouvernement de Léon Blum en 1936 : les congés payés et la semaine de quarante heures. Mais le Front populaire, c’est aussi l’émergence d’une démocratie nouvelle, où les citoyens deviennent des acteurs sociaux. Soixante-dix ans après, retour sur une expérience certes inachevée mais stimulante pour la réflexion. C’est un des moments les plus importants de l’histoire politique et sociale de la France que l’on commémore ces jours-ci. Il y a soixante-dix ans, le 3 mai 1936, une majorité de Front populaire emporte les élections législatives. Formé dans l’euphorie, le gouvernement dirigé par Léon Blum fait voter en quelques semaines nombre de textes qui vont marquer profondément la société française. Ces réformes, conformes au programme du Rassemblement national nom officiel de la coalition électorale , qui ne comportait aucune réforme de structure, ne transforment pas le régime social du pays, qui reste celui d’une économie libérale. Elles accomplissent néanmoins, selon l’expression du chef du gouvernement, une « révolution par la loi ». La semaine de 40 heures et surtout la création des congés payés restent aujourd’hui encore les mesures les plus emblématiques de l’oeuvre réformatrice de son gouvernement. Ces mesures, en permettant dès l’été 1936 à des millions de travailleurs d’accéder au temps libre, de découvrir les loisirs et de nouveaux horizons, ont contribué à la mystique du Front populaire. Pour autant, la multiplication des bicyclettes et des tandems sur les routes estivales, la découverte du camping et de la mer par toute une population laborieuse, au grand dam des bourgeois, mécontents de voir « leurs » plages envahies par des « salopards en casquette » aux mauvaises manières, ne résume pas l’oeuvre réformatrice du Front populaire. Il faudrait aussi évoquer la nationalisation des industries de guerre, la réforme de la Banque de France, qui élargissait le crédit à toute l’économie nationale, la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans, la création de l’Office national interprofessionnel du blé, qui, en confiant à l’État le soin de déterminer le prix du blé, a assuré un meilleur revenu aux petits paysans, etc. La liste est longue. Celle des réformes seulement envisagées aussi. Car, très vite, des difficultés imprévues vont briser l’élan des premières semaines. La guerre d’Espagne, qui éclate le 18 juillet 1936, suscite des tensions dans la coalition (voir p. 15), notamment avec le parti communiste, qui avait refusé d’entrer au gouvernement, se réservant « le ministère des masses ». L’hostilité des milieux d’affaires et une importante fuite des capitaux à l’étranger contraignent le gouvernement à dévaluer le franc, le 29 septembre. Le 18 novembre, le ministre de l’Intérieur, Roger Salengro, se suicide, victime de la fureur politique déchaînée par les adversaires du Front populaire : socialiste et maire de Lille, il était l’objet depuis septembre d’une campagne mensongère initiée par la presse de droite et relayée sur les bancs du Parlement. Le 13 février 1937, Léon Blum, confronté à la détérioration croissante de la situation financière du pays, que n’a pas apaisée la dévaluation tardive et insuffisante de fin septembre, doit annoncer une « pause » dans les réformes. Il démissionne le 21 juin quand, après la défection d’élus radicaux, le Sénat lui refuse les pleins pouvoirs financiers qu’il réclamait pour instaurer notamment un contrôle des changes. La victoire électorale de 1936, censée mettre au pouvoir un gouvernement pour les quatre ans que durait alors une législature, a seulement permis une « expérience Blum » d’une année. La majorité de Front populaire perdure cependant. Les communistes accordent leur confiance au radical Camille Chautemps, qui constitue un gouvernement avec des ministres socialistes, dont Léon Blum, qui a le titre de vice-président du Conseil. Contraint à une nouvelle dévaluation du franc le 30 juin, le gouvernement Chautemps parachève néanmoins le regroupement des sociétés de chemin de fer entamé à l’été 1936 et impose aux « seigneurs du rail » la création de la SNCF, la plus vaste société d’économie mixte mise en place jusqu’alors : « Un service public au service du public », proclame une affiche de l’époque. Mais le Front populaire agonise. Un second gouvernement Blum ne dure pas un mois (13 mars-8 avril 1938). Si le 70e anniversaire du Front populaire suscite peu de commémorations, hormis dans les rangs du PCF et de la CGT (1), ailleurs le rappel de cette page d’histoire sera surtout l’occasion d’évoquer « les espoirs déçus du Front populaire », suivant le titre d’un article de l’historien Jean-Pierre Rioux, paru l’an dernier dans un numéro des Collections de l’Histoire. Une historiographie abondante et d’origines politiques antagonistes tend à présenter l’expérience de Front populaire comme « une illusion ». Dans les milieux conservateurs et libéraux, on souligne volontiers que son bilan économique révèle une stagnation de la France, un échec de la politique de relance de la consommation et de retour à la croissance. Une tradition syndicaliste révolutionnaire toujours vivace ou des auteurs se réclamant du trotskisme lui reprochent d’avoir trahi l’aspiration révolutionnaire des masses. Pour les socialistes qui rêvent d’une « gauche durable », la dévotion obligée à l’égard de Léon Blum, cette « grande figure du socialisme », masque de moins en moins une certaine distance avec son expérience gouvernementale : pour n’avoir pas su durer au pouvoir, le Front populaire est un exemple à ne pas suivre. Le gouvernement Blum a effectivement échoué dans son projet de faire accepter à la société libérale de 1936, sans aucune coercition, un réformisme social relativement timide, mais ces critiques minimisent la part du contexte économique la grande crise des années 1930 et international la montée du fascisme et des périls dans cet échec. Surtout, elles ne permettent pas de comprendre comment la mémoire de cette période a pu rester vivace au fil des ans, et même se renforcer. Ni pourquoi l’évocation du Front populaire reste puissamment chargée d’espoir. L’arrivée au pouvoir en 1936 d’une majorité de Front populaire, alliance inédite de radicaux, de républicains socialistes, de socialistes et de communistes, est plus qu’une simple victoire électorale. Certes, celle-ci est importante : la gauche compte une majorité de 376 députés sur 618 ; la progression de la SFIO, qui devance le Parti radical, et l’importante percée du parti communiste constituent une promesse de politique nouvelle. Pour la première fois, un gouvernement est présidé par un socialiste qui va appliquer un programme directement favorable aux classes populaires. Mais ce nouveau pouvoir puise aussi sa force et sa légitimité de la mobilisation d’une grande partie de la société. Cette implication populaire, sans laquelle le Front populaire n’aurait jamais été qu’un nouveau cartel des gauches (alliance électorale des radicaux et des socialistes) élargi aux communistes, en fait une expérience politique originale, encore aujourd’hui. Sensible au cours des deux années qui ont précédé la victoire électorale du Rassemblement populaire, quand il s’agissait d’imposer l’union de la gauche dans toutes ses composantes (politiques, syndicales et associatives), l’implication populaire culmine à la veille de la formation du gouvernement, le 4 juin, avec un immense mouvement de grèves qui échappe au contrôle des directions syndicales. On compte alors deux millions de grévistes, 12 000 usines et établissements en grève, dont 9 900 occupés. Cette nouvelle forme de mobilisation pacifique et festive Simone Weil parlera des « grèves de la joie » se caractérise par la préparation d’activités de loisir sur le lieu de travail. On y organise des bals, des radio-crochets, des défilés costumés, des cours de gymnastique... Le mouvement reçoit le soutien de la population, qui organise le ravitaillement des ouvriers ; des chanteurs et des chansonniers à succès se rendent auprès des grévistes. Ce gigantesque conflit social, « le plus formidable qu’ait connu la République », dira Roger Salengro, se conclut avec la signature des accords de Matignon, dans la nuit du 7 au 8 juin, qui accordent aux travailleurs des satisfactions allant au-delà du programme du Front populaire. Généralisation des « contrats collectifs de travail » (conventions collectives), reconnaissance du droit syndical, augmentations de « 15 % pour les salaires les moins élevés [...] à 7 % pour les salaires les plus élevés », élection des délégués du personnel sont les principaux acquis de cette négociation nationale entre le patronat et la CGT, réalisée sous l’arbitrage du nouveau gouvernement. Par l’intervention des salariés sur l’action du gouvernement, le mouvement social a imposé son cahier de revendications. À peine installé, le nouveau pouvoir radicalise son programme. La plate-forme électorale du Rassemblement populaire, adoptée en janvier 1936, mentionnait la « réduction de la semaine de travail sans réduction du salaire hebdomadaire » sans chiffrer celle-ci. Sous la pression des grèves (2), le gouvernement s’est aligné sur la revendication (ancienne) de la CGT pour la semaine de 40 heures. Quant à la création des congés payés, décidée par Léon Blum, elle ne figurait nulle part dans son programme. Lire la suite et l’ensemble du dossier dans Politis n° 899 (1) Le PCF organise dans ses locaux, le 3 mai à partir de 19 h, deux (1) Le PCF organise dans ses locaux, le 3 mai à partir de 19 h, deux débats suivis de la projection du film de Jean Renoir La vie est à nous. Des ciné-conférences y sont également prévues les 11 et 18 mai, 1er et 8 juin avec des films du fonds d’archives du PCF. La CGT organise dans ses locaux, du 29 avril au 1er mai, une exposition « Vive les congés payés ». (2) Les grèves n’ont pas toutes cessé au lendemain des accords de Matignon. Le 11 juin, alors que le Parlement vote les 40 heures, Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, déclare qu’« il faut savoir terminer une grève ».
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