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La déséducationSource : La Déséducation 5 décembre 2010 Définition officielle Jean Bédard et moi (Mathieu Côté-Desjardins) avons mis au point notre définition de ce qu’est la déséducation : * Propagation d’une ignorance programmée et structurée pour tenir les personnes en état d’inconscience. * Action de déformer l’esprit en abêtissant, de manière innocente ou par intérêt contiguë à la tendance sociopolitique de l’heure. En d’autres mots, la déséducation signifie : * Le constat que nos jeunes sont privés d’une éducation authentique ; Les origines et la propagation de la déséducationExtrait de la conférence de Jean Bédard, « Combattre la pauvreté par l’éducation », présentée à Paris en 2005. Jean Bédard est écrivain, philosophe et intervenant social. « Avant de mieux définir ce qu’est l’éducation, on doit comprendre ce qu’est la déséducation. Qu’est-ce que la déséducation ? On parle de désinformation lorsque des images mentent. On parle de déséducation lorsqu’un enseignement fausse le regard lui-même. La déséducation installe des lunettes permanentes qui déforment le regard. La déséducation contamine l’organe d’interprétation lui-même. Une personne a achevé sa déséducation lorsque plus rien ne l’étonne, pas même un ciel étoilé ; lorsque plus rien ne l’indigne, pas même les guerres et les famines ; lorsqu’elle trouve que tout est normal, même l’intoxication de l’air que nous respirons. On a réussi à parachever la déséducation lorsqu’une fois diplômé, un individu n’a plus ni jugement critique ni capacité créative. La déséducation fonctionne : en brouillant le rapport à soi, la personne n’est plus capable de lire ses sentiments ; en brouillant le rapport au corps, la personne n’arrive plus à lire ses besoins ; en brouillant le rapport avec les choses, les choses sont systématiquement remplacées par leur représentation ; en brouillant le rapport avec le jugement grâce à des rhétoriques fallacieuses. La déséducation vise un but évident : la soumission aux habitudes sociales, le désarmement moral. L’exclusion résulte d’une déséducation. On doit impérativement comprendre que cette exclusion est à la racine de toutes les violences. Nous ne pouvons pas accéder à l’humanité autrement qu’en intégrant cette partie de l’humanité que nous laissons dans la misère. Pourquoi ? Parce que l’exclusion qui produit la pauvreté est l’exclusion de l’être lui-même. Si un être n’a que son être, rien d’autre, une société barbare l’exclura. Imaginons un vieillard qui n’a plus de mémoire, plus de force, plus d’autonomie, il n’a que son être, une société barbare l’exclura. Si un enfant arrive à l’école et qu’il semble qu’il coûtera cher d’en faire un individu économiquement utile, dans une société barbare, on l’abandonnera. Si l’école veut participer au mouvement de la civilisation, elle passe de la déséducation à l’éducation, c’est-à-dire qu’elle donne la priorité au verbe être. Dans une société barbare, il faut prouver l’être par l’avoir et obtenir l’avoir par le faire. Dans une société barbare, on entraîne le regard à ne reconnaître que la valeur marchande d’un individu. L’être est abandonné. L’éducation va en direction contraire. Elle éduque au respect dû à la dignité de chacun du seul fait qu’il est. Un éducateur stimule la pensée pour qu’elle réagisse aux êtres et plus l’être est nu, dépourvu, vulnérable, plus l’éducateur apprend aux enfants à reconnaître sa dignité. Il en fait une affaire de civilisation. Car si l’humanité est niée dans un seul enfant et que l’école est indifférente, alors c’est toute l’humanité qui est niée. L’école n’aura de crédibilité aux yeux des enfants que si l’enfant sent que, quelles que soient ses difficultés d’apprentissage, quelles que soient ses difficultés sociales, il est reconnu comme un être, il est porteur d’une dignité qui ne dépend pas de ses performances. Imaginez un enfant qui méprise un enfant parce qu’il n’est pas habillé comme les autres. Avec d’autres enfants, il ridiculise ce bambin. Il ne fait, vis-à-vis de cet enfant, que ce que la communauté fait vis-à-vis de la famille. Il imite des comportements barbares. Et personne ne le punit, personne n’intervient. Alors, il apprend que le jour où lui aussi sera vulnérable, personne ne l’aidera. Il apprend que la dignité de l’homme ne se rattache pas à l’être, mais à la manière d’être. Ce jour-là, cet enfant devient barbare. Il entre dans un monde hostile et violent. L’école a radicalement échoué. Allons un peu plus loin. Les jeunes qui décrochent de l’école, qui accumulent des retards, qui hésitent à suivre le courant de la rivière sont les symptômes d’une maladie que j’appelle ici, la barbarie. Toujours les symptômes visent à faire voir. Le but d’un symptôme est de faire voir la maladie. Ces jeunes sont ce que l’analyse systémique appelle : des « porteurs désignés ». Ils portent dans leur chair, dans leurs inquiétudes, dans leurs angoisses et leurs souffrances, ce que la conscience voudrait faire éclater au grand jour. Ils crient que quelque chose ne va pas. Un éducateur, et nous devrions tous l’être, comprend ces symptômes et guide la conscience pour qu’elle passe de l’état où elle subit à l’état où elle agit. Un éducateur participe à la transmutation des symptômes en conscience lucide et en action sociale. Il n’y a de solidarité des éducateurs, donc il n’y a d’école, qu’en solidarité avec la souffrance des jeunes. L’éducation doit participer au travail de la conscience qui, de toutes les manières, tente de dénoncer la barbarie et d’annoncer la civilisation. L’histoire a connu de grands éducateurs. J’ai témoigné de l’un d’eux dans mon dernier roman : Comenius, l’art sacré de l’éducation. L’école est née durant la guerre de Trente Ans (1618 à 1648) et visait, sans détour, l’endoctrinement. Néanmoins, un Tchèque nommé Comenius va tenter de fonder des écoles d’éducation et non de déséducation. Pour lui, la déséducation est un élément intrinsèque des tendances totalitaires propres au pouvoir, alors que l’éducation n’est rien de moins que le fondement de la démocratie, c’est-à-dire de l’humanité en marche vers sa dignité. »
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