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RÉSEAU SOCIAL SOLIDAIRE

Une histoire de la démocratie (suite)

Source : Cahier Plus de La Presse
- Par Jacques Dufresne

"Les braves, morts ou vivants, qui se sont battus en ce lieu l’ont consacré bien au-delà de nos pauvres moyens d’ajouter à leur oeuvre ou de la décrier. Le monde aura à peine remarqué les propos que nous tenons en ce lieu et il n’en conservera qu’un souvenir éphémère, mais il n’oubliera jamais ce qu’ils y ont fait".


"C’est plutôt nous les vivants qui devons nous consacrer à la tâche inachevée, mais si noblement conduite à son apogée par ceux qui se sont battus ici. C’est plutôt à nous qu’il appartient de nous consacrer au grand défi qui nous attend. Puissent ces morts à qui nous rendons hommage accroître notre attachement à la cause qui fut l’objet de leur ulitme et complet dévouement.

"Puissions-nous, par notre détermination, faire en sorte que ces morts ne soient pas morts en vain, que cette nation, à l’ombre de Dieu, puisse renaître dans la liberté...et que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ne disparaisse pas de la surface de la terre."

Ce fut sans doute le discours le plus court que prononça Lincoln. Ceux qui se sont déplacés pour aller l’entendre à Gettysburg étaient toutefois capables de suivre avec attention des débats qui pouvaient durer une journée entière et pendant lesquels Lincoln pouvait lui-même parler plusieurs heures d’affilée.

Aujourd’hui les leaders politiques américains s’adressent à leurs compatriotes au moyen de messages télévisés de quelques secondes. Par là la démocratie américaine s’éloigne dangereusement du climat dans lequel elle est née : "Les pères fondateurs, écrit Richard Hofstadter, étaient des sages, des scientifiques, des hommes d’une grande culture."

Les hommes de l’image parviendront-ils à protéger et à faire fructifier l’héritage qui leur fut transmis par les hommes du livre ? Le référendum québécois

À l’échelle mondiale, le référendum québécois de 1980 n’a évidemment pas l’importance des autres événements évoqués jusqu’ici. Il n’en demeure pas moins que, dans des circonstances difficiles, le Québec et le Canada dans ont fait preuve d’un sens démocratique exemplaire. La loi, qui limitait les dépenses des deux camps, a été respectée, il y eut un grand nombre d’assemblées et de débats et, dans l’ensemble, on a eu le souci de l’autre.

Au cours de l’histoire, la plupart des sécessions se sont faites dans la violence. Déjà exceptionnel en lui-même, le référendum québécois a pris une signification nouvelle à la suite du réveil des nations en Europe de l’Est. Dix ans auparavant, le camp démocratique avait donné au monde un exemple qui aurait évité bien des malheurs à l’ex-Yougoslavie, entre autres, si les leaders de ce pays s’en était inspiré.

Le Québec avait déjà prouvé son sens démocratique par la façon dont il avait échappé au vertige de la violence au cours des deux décennies précédant le référendum.

Ce sens démocratique avait des racines profondes. L’Acte constitutionnel de 1791 avait doté le Bas-Canada de l’un des régimes les plus libéraux du monde à ce moment. Le droit de vote y fut accordé plus généreusement qu’en Angleterre et dans la France révolutionnaire. Pour avoir le droit de voter aussi bien que celui d’être candidat, il suffisait de posséder un minimum de biens. C’est ainsi que des femmes, des Juifs, des Indiens votèrent dès 1792. (Nous célébrons cette année le deux-centième anniversaire de cette élection.) En 1807, dans Trois-Rivières, Ezéchiel Hart allait devenir le premier député juif élu au Canada.

Le grand mérite de cette constitution, c’est qu’Anglais et Français (qu’on appelait les anciens et les nouveaux sujets) avaient le même statut et que la religion catholique était admise.

C’est Londres qui tenait à ces principes. À Québec, Lord Dorchester et ses principaux conseillers répliquèrent par un projet où ils tentaient de noyer le Bas-Canada, en très grand majorité francophone, dans un ensemble fédéral où une double majorité aurait été exigée : majorité des voix à la chambre et majorité des provinces, alors au nombre de 5 (Terre-Neuve, Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, Bas-Canada, Haut-Canada.) Bien que plus nombreux que l’ensemble des habitants des autres provinces, les francophones du Bas-Canada auraient ainsi été minoritaires.

Londres rejeta catégoriquement ce plan. L’auteur de l’Acte Constitutionnel, Lord Grenville, fit preuve d’une grande élévation de pensée dans la façon dont il défendit son projet en chambre : "On a appelé préjugés l’attachement des habitants français du Canada pour leurs coutumes, leurs lois et leurs moeurs, qu’ils préfèrent à celles d’Angleterre. Je dis qu’un tel attachement mérite un meilleur nom que celui de préjugé. C’est un attachement fondé sur la raison et sur quelque chose de mieux que la raison, sur les meilleurs sentiments du coeur humain."

Dans l’opposition, Edmund Burque, penseur politique que sa critique de la révolution française devait rendre célèbre, s’opposa au projet de fédération dans les termes suivants : "Il est hautement absurde de tenter d’unir des peuples si différents par la loi, la langue et les manières."

Les lois françaises qui furent ainsi protégées aidèrent les habitants à maintenir un mode de transmission des terres qui allaient favoriser la démocratie. Souvenons-nous des problèmes que les grandes propriétés causèrent en Grèce, à Rome et en Angleterre. Le Bas-Canada échappa à ce fléau. Les propriétés demeurèrent à l’échelle de la famille. Si bien qu’il y eut ici un maximum de personnes libres, compte tenu des circonstances.

Le sociologue Léon Gérin nous dit que ces personnes libres, vivant dans une nature encore plus généreuse que rigoureuse, formaient un peuple étonnamment heureux. Ce qui explique peut-être son hésitation à prendre le virage industriel et à passer d’une démocratie de type arcadien à une démocratie moderne et libérale. Après le mur... de Berlin

Quand Lénine a plongé la Russie dans la terreur, il était persuadé que le mouvement qu’il lançait allait gagner très rapidement le reste de l’Europe. C’est le mouvement démocratique lançé en Pologne soixante-dix ans plus tard qui eut un tel effet d’entraînement. Le mur de Berlin tomba en 1989. Deux ans après, la démocratie avait triomphé dans toutes les nations de l’Est et dans toutes les républiques de l’ex-URSS.

Mais est-ce vraiment la démocratie qui a triomphé et, si oui, pour combien de temps ? Un sondage Gallup sur la démocratie a été effectué dans les pays de l’Est en Janvier 1992. 10,000 personnes de 10 pays ont été interrogées. Parmi ces pays, il y a avait la Russie, la Pologne, la Hongrie, l’Albanie. 54% ont répondu qu’ils ne sont pas satisfaits de la démocratie. En Russie, 15% seulement se sont déclarés satisfaits. C’est dans les pays qui, comme l’Albanie, viennent tout juste d’accéder à la démocratie que le degré de satisfaction est le plus élevé.

Tous les observateurs lucides craignaient les rêves entourant l’accès à la démocratie dans les pays de l’Est ne se transforment rapidement en cauchemars. Avec leur 15% de satisfaction, les Russes ne sont pas très loin du cauchemar.

Et que dire des Polonais et de leur 37 partis politiques ? Aux dernières élections générales dans ce pays, c’est le parti communiste qui a recueilli le plus de suffrages : 14%.

La ferveur démocratique a gagné aussi l’Asie et l’Amérique du Sud. On tremble pour les habitants du Bengladesh. Dans ce pays, l’un des plus pauvres du monde, 20 millions de personnes ont bravé des pluies diluviennes et des inondations, au péril de leur vie parfois, pour poser un geste que plus de 50% des Américains refusent de faire même quand on assure leur déplacement dans des voitures confortables : voter.

Sophocle, pensant aux religions, plaigaient les mortels qui se nourrissent d’espérances creuses. L’heure est venue de plaindre les déshérités qui se nourrissent d’espérances démocratiques creuses.

Les religions méritent moins de reproches quand elles promettent le paradis dans l’autre monde que les régimes politiques quand ils promettent le paradis sur terre.

La démocratie n’est pas un paradis terrestre, elle est un désert qui pour devenir et demeurer fertile doit être irrigué par des efforts constants. Ces efforts s’apparentent à la vertu de Cincinnatus. Là où l’on s’y refuse, la démocratie mérite la définition qu’en donne Gustave Thibon : "elle est le droit de ne pas avoir de devoirs".

La démocratie n’est pas une mécanique sociale qui produit le bien automatiquement. Elle repose sur une générosité qui elle-même n’est possible que dans la mesure où une nourriture intellectuelle et spirituelle adéquate est accessible.

Il n’est peut-être pas exclu que la démocratie, comme le pense Jean Baechler, soit le régime naturel, normal et que tous les autres régimes soient des déviations. On peut même penser, comme Francis Fukuyama La fin de l’histoire et le dernier homme (Flammarion, Paris 1992), après Hegel et Kojève, que la démocratie libérale est la fin de l’histoire, c’est-à-dire l’état d’équilibre dont les hommes ne voudront plus s’éloigner tant il leur paraîtra satisfaisant.

Pour ma part, je donne plutôt raison à Aristote qui pensait que les régimes s’usent, comme les hommes. Si les Grecs sont passés de la démocratie à la tyrannie, les Romains de la République à l’empire, je ne vois pas ce qui pourrait empêcher les Américains et les Canadiens les imiter un jour. Les Français ne sont-ils pas à deux reprises revenus à l’empire après avoir connu la démocratie ?

Le régime le plus stable que l’on connaisse, celui des Anglais, tient peut-être sa stabilité du fait qu’il contient des éléments bien dosés des trois grands régimes : démocratie, aristocratie et monarchie.



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