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RÉSEAU SOCIAL SOLIDAIRE

Zimbabwé. A Harare, la mort au coin de chaque rue

Source : Sunday Times / 28 décembre 2008
- Traduction :Courrier International

L’épidémie de choléra qui touche le pays semble incontrôlable et ajoute ses effets à ceux de la pénurie de nourriture. Reportage dans les rues de la capitale, où seules les ONG viennent en aide aux habitants. Nous l’avons trouvée gisant au bord de la route, attendant la mort. Puisque je cherchais des victimes du choléra à Budiriro, le quartier le plus touché de Harare, mon guide m’a proposé une solution simple : "Vous n’avez qu’à parler aux gens que vous voyez couchés par terre."

Il ne nous a pas fallu longtemps pour tomber sur Spiwe Mangwende. Allongée sur une maigre paillasse à l’ombre d’un avocatier dépouillé, elle souffre visiblement. La semaine précédente, son frère de 16 ans, Promise Mashaire, occupait la même paillasse avant de mourir de la même maladie, détectée pour la première fois au mois d’août à Chitungwiza, à 30 kilomètres au sud de Harare.

Cette coiffeuse de 26 ans a été soignée pendant trois jours au "camp du choléra" mis en place par l’UNICEF dans le quartier, avant d’en être expulsée pour faire de la place pour de nouvelles victimes. Le camp dispose d’une centaine de lits, mais un responsable explique que, pendant la semaine, 400 nouvelles victimes sont arrivées chaque jour.


Bien que le gouvernement ait tardé à déclarer l’état d’urgence sanitaire [le 5 décembre dernier], l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a signalé plus de 12 000 cas confirmés, ainsi que 575 décès. Les experts estiment toutefois que de nombreux malades meurent chez eux sans être répertoriés. UNICEF, Médecins sans frontières et d’autres ONG creusent des puits, fournissent des goutte-à-goutte pour réhydrater les patients et ont ouvert 36 centres de soins comme celui de Budiriro.

Près de 150 personnes attendent à l’entrée du camp pour savoir si leurs proches ont passé la nuit. Deux corps seulement couverts d’un drap passent sous leurs yeux, en direction de la morgue improvisée. Comme la plupart des autres centres, Budiriro n’a plus de sacs mortuaires. Les employés des ONG ne recommandent plus aux patients restés à l’extérieur de faire bouillir l’eau, par manque de bois ou de combustible pour faire bouillir quoi que ce soit. Au lieu de cela, le jour de sa sortie, Mangwende a reçu deux sachets de tablettes de purification de l’eau, un paquet de sels de réhydratation, et on lui a dit de boire autant d’eau que possible, qu’elle soit propre ou non. De la part du gouvernement de Robert Mugabe, elle n’a rien obtenu, sinon la maladie.

Des deux côtés de la paillasse de Mangwende, et tout le long de Willowvale Road, on voit bien quelle est la source principale de l’épidémie : des monticules de terre trahissent la présence de puits fraîchement creusés. Les canalisations de ce quartier surpeuplé ne fournissent plus d’eau, et la municipalité n’intervient pas. L’an dernier, alors que le Zimbabwe sombrait dans la crise, des centaines de ces puits ont fait leur apparition, et des milliers dans le tout le pays. Mais les pluies d’été y ont mêlé les eaux usées des canalisations endommagées, des latrines engorgées et des champs. Les mouches se sont chargées du reste.

Mais ce n’est pas à cause d’un puits que Mangwende a attrapé le choléra. Elle vit dans la plus grande maison de la rue, dotée de quatre pièces, avec une chaîne hi-fi dernier cri, une télévision grand écran et un luxueux salon. La puanteur des égouts vous saisit dès l’entrée et empire à mesure que l’on s’approche de la salle de bains. Là, les robinets restent ouverts en permanence, au cas où un ou deux litres d’eau viendraient à couler. La baignoire est pleine d’une eau verdâtre, si sale qu’on ne voit plus le fond.

La municipalité a déversé le choléra directement dans la cuisine de Mangwende. "J’ai peur, mais je suis aussi en colère", dit-elle en grimaçant. Elle fait un effort pour parler. "Jamais je n’aurais cru que nous vivrions comme ça. Et que nous mourrions comme ça. Je prie, mais j’avais prié aussi pour Promise. Je ne sais pas ce qui va m’arriver." Sa vie est le symbole même du cauchemar zimbabwéen. En mai dernier, elle a été agressée par des "Green Bombers", des partisans de Mugabe ainsi nommés à cause de leurs uniformes verts. La soupçonnant de voter pour le MDC [le parti de l’opposant Morgan Tsvangirai], ils lui ont marqué le visage avec du plastique brûlant.

Quelques mois plus tard, son père, diabétique, est décédé parce qu’on ne trouvait plus de médicaments en ville. Les deux grands hôpitaux de Harare se sont contentés de verrouiller leurs portes et sont toujours fermés aujourd’hui. Fin novembre, elle a dû attendre deux jours avant d’apprendre que son frère, un jeune homme timide passionné de cricket, était mort dans le camp, tandis que Budiriro s’enfonçait dans le chaos du choléra.

Grâce à l’aide d’"oncles", Mangwende a parfois assez d’argent pour acheter de quoi préparer un repas par jour : du chou et un peu de sadza, de la farine de maïs. "Il y a encore un an, on faisait trois repas par jour, avec de la viande, du thé et même du maïs, raconte-t-elle. Aujourd’hui, il faut se battre pour acheter des légumes dans la rue, pour un seul repas, et ils sont peut-être contaminés."

Pour ceux qui ne bénéficient pas de tels soutiens, il n’y a plus que le désespoir. Gloria Chivendza et ses quatre enfants écument les bas-côtés des routes en quête de maïs destiné aux porcs. Parfois, des épis tombent des camions. Elle fait ça, nous dit-elle, "parce que nous avons très, très faim". Lorsqu’on lui donne une miche de pain frais pour la remercier de l’interview, elle tombe à genoux en étouffant ses sanglots. Il y a plus de six mois qu’elle n’a pas vu de pain.

Comme les marchés poussiéreux que nous avons visités à Chivu et à Masvingo, celui de Budiriro est vide, en dehors de fruits couverts de mouches. Encore ne s’agit-il que de fruits sauvages, des muzhanji, sortes de fruits de la passion récoltés par les enfants après des recherches éprouvantes dans la savane.

La semaine dernière, une queue gigantesque s’est formée devant l’usine de Nutresco Foods. Deux mille personnes attendaient dans une chaleur étouffante pour acheter une boisson à base de protéines. Chacun avait déjà fait la queue pour avoir le droit d’attendre là. Une femme nous a expliqué que cette boisson était la dernière véritable source de nutrition pour les pauvres de Harare, "parce que la seule viande que l’on peut trouver, c’est du poisson, et on dit qu’il porte le choléra".

Rowan Philp
Sunday Times



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