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RÉSEAU SOCIAL SOLIDAIRE
Caste d’intouchables

La République indécente

Source : Le blog d’Arnaud Montebourg / mardi 29 juin 2010
- Par Arnaud Montebourg député socialiste de Saône et Loire

L’affaire Woerth est une démonstration supplémentaire de la collusion insoutenable entre certaines élites politiques et les milieux de l’argent. A la terrasse du Fouquet’s, sur le yacht de Bolloré, dans les salons de Madame Bettencourt, on embauche les épouses des uns et on reçoit des décorations de la République ; on obtient la bienveillante complaisance de ceux qui sont supposés être les gardiens de l’intérêt général et l’on fait en retour des chèques pour aider le parti majoritaire. L’affaire Woerth ne fait que confirmer et illustrer la cassure entre la France consanguine du pouvoir et de l’argent, et la France des gens ordinaires que nous défendons chaque jour, chez qui l’écœurement grandit à mesure que se révèlent les indélicatesses de cette classe dirigeante si éloignée de l’intérêt général. Loin de la méritocratie républicaine qui permet aux plus valeureux de s’élever, ces élites se reproduisent entre elles. Mais à force de consanguinité, elles n’en perdent que davantage le sens de la décence et de la justice. Il y a plus d’un demi-siècle, le 18 juin 1940, un Français parlaient aux Français. En juin 2010, dans notre République des oligarques, les puissants parlent aux plus riches… et ceux-ci leur répondent.


L’affaire Woerth surgit en pleine réforme des retraites. Au moment où le pouvoir demande à tous les Français, et surtout les plus exposés au travail et à la vie durement gagnée, des efforts jugés injustes par l’immense majorité des Français, voici que la droite exonère les plus riches de ces sacrifices. Où est la République irréprochable promise par Nicolas Sarkozy et pour laquelle il a été élu ? Comment le ministre des retraites Woerth peut-il regarder les Français dans le fond des yeux et leur dire que leurs efforts seraient nécessaires pour sauver le système de retraite ? L’arrogance et la cupidité de la droite va finir par rendre la République détestable pour le plus grand nombre.

Des cigares de Christian Blanc aux honoraires de Christine Boutin, en passant par les multiples appartements de fonction de Christian Estrosi, ou le permis de construire frelaté d’Alain Joyandet, voire le goût du même pour les jets privés hors de prix, la droite dément l’idée même que l’on puisse faire de la politique sans se salir les mains. Le pire est sans doute d’avoir ouvert la porte du soupçon. Il n’est pas anodin que cette affaire touche Eric Woerth, considéré comme un ministre compétent et possible successeur de François Fillon. C’est dire combien la chose politique est mal en point dans notre pays, abîmée par ceux qui ont pourtant le devoir parmi d’autres de lui redonner force et noblesse.

Détachons-nous des cas individuels pour interroger les racines profondes de cette crise. Un scandale politique et financier ne surgit jamais de nulle part, symptomatique d’une crise profonde de régime. Car cette crise est le produit de nos institutions incapables d’être exemplaires car originellement dangereuses. Elle montre une Ve République qui entretient les soupçons tant elle donne de pouvoirs à l’exécutif, tant elle concentre tout entre les mains des mêmes. La Ve République est une machine à produire de l’impunité : les médias sont à peu près sous contrôle, les procureurs sont aux ordres, le Parlement ne sert pas à grand-chose, alors pourquoi s’embarrasser ? Pourquoi être exemplaire puisqu’on ne risque rien ? Le pire est que ces dirigeants décadents ont perdu toute sensibilité à ce danger, tant ils sont fiers de leur impunité. En effet, pour sa défense, Eric Woerth avançait l’argument suivant : « ma femme n’aurait-elle pas le droit de poursuivre sa carrière parce que je suis ministre ? ».

Mais le fait que cette épouse soit conseillère fiscale à domicile de la plus grosse fortune de France qui fraude le fisc, et en même temps femme du ministre du budget – supposé lutter contre la fraude fiscale – ne l’inquiète pas. Jamais l’idée d’un conflit d’intérêts n’est venu heurter son esprit ? Mais comme si cela ne suffisait pas, ce même ministre du Budget – poste sensible– est aussi trésorier du parti aux manettes. Parti qui se trouve, lui, être subventionné par la première fortune de France, et combien d’autres innombrables évadés fiscaux, qu’il réunit sur place en Suisse pour lever des fonds ! La boucle est bouclée autant que le doute est permis.

Prétendre ne pas se rendre compte du problème de collusion que cette situation pose, c’est être aussi grandement malhonnête qu’une Ve République ayant fait de la concussion sa marque de fabrique. Combien faudra-t-il encore d’exemples de ce type pour changer le système politique et fonder enfin la nouvelle République, VIe du nom ? Jusqu’à quelle profondeur faudra-t-il creuser notre propre tombe pour espérer renaître de nos cendres ? Dans une VIe République, les hommes et les femmes politiques ne seraient pas plus vertueux, mais plus responsables car encadrés par des contre-pouvoirs. Les parlementaires pourraient auditionner les ministres et voter leur mise en congé. Cela s’appelle la responsabilité politique.

Les ministres incriminés quitteraient leurs fonctions pour se mettre à la disposition d’une justice (comme n’importe quel justiciable) sur laquelle le garde des Sceaux ne pourrait pas influer, comme aujourd’hui il le fait en utilisant les Procureurs pour défendre et garantir les intérêts du pouvoir, pendant que la loi s’applique de façon impitoyable pour les citoyens ordinaires. Cela s’appelle la responsabilité judiciaire. Aujourd’hui, nous n’avons ni responsabilité politique, ni responsabilité judiciaire et une défiance contre l’action politique qui croît. Parce que la République est trop précieuse, nous ne pouvons risquer de jeter sur elle le doute et l’opprobre. Elle est à reconstruire d’urgence.

On nous dit que ce ne serait pas aux députés de solliciter des poursuites judiciaires contre ces ministres indélicats qui déshonorent leur fonction. Mais qui le fera alors ? Les Procureurs du pouvoir ? Ils sont notés, nommés et contrôlés par le pouvoir pour précisément servir ce dernier et protéger ses intérêts politiciens et partisans. Le Parlement ? Les députés de l’opposition n’obtiennent en réponse à leurs questions que mépris et arrogance. Je suis fidèle à mes combats d’hier pour obtenir que la justice soit la même pour tous dans une République qui proclame l’égalité le jour, mais organise méthodiquement les privilèges la nuit. Ces combats contre Jacques Chirac, Roland Dumas, Alain Juppé, les tribunaux de commerce ou les paradis fiscaux il y a presque dix années, étaient justes et nécessaires.

L’affaire Woerth est la triste démonstration qu’aucune leçon n’a été tirée de ces fautes. Les paradis fiscaux n’ont toujours pas été démantelés et servent encore aux milliardaires et aux multinationales pour échapper à l’impôt dans une période où nous avons plus que jamais besoin d’argent public, les tribunaux de commerce administrent toujours les faillites avec aussi peu de déontologie au détriment des emplois, des actifs et du travail (20 000 faillites de plus qu’il y a dix ans), et les dirigeants politiques n’ont toujours pas fait l’apprentissage du délit de prise illégale d’intérêt pour lequel un ancien Premier ministre a pourtant été condamné et un ancien Président de la République toujours poursuivi, malgré une retraite qu’il aurait certainement souhaité paisible.

Pour ma part, je n’accepte pas de devoir poursuivre avec fermeté, comme je le fais conformément à la loi, devant le Tribunal correctionnel de Mâcon au nom du Conseil général dont je suis le président, les citoyens qui fraudent le RMI pour quelques centaines d’euros, et détourner les yeux des compromissions en haut lieu quelles qu’elles soient. La République doit être défendue, avec passion, courage et liberté pour qu’elle reste celle de tous. Il restera à la reconstruire après ces effondrements, de la cave au grenier, pour qu’elle retrouve dans l’esprit public le respect et l’estime que nous lui devons.

Arnaud Montebourg



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