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Entreprise de démolition socialeSource :Le Monde diplomatique / 18 avril 2008 Cacophonie gouvernementale ou tourbillon médiatique destiné à noyer dans un flot de nouvelles diverses et variées des mesures impopulaires ? Les deux à la fois ? Difficile de répondre. Une chose est sûre : de la suppression de la carte SNCF « famille nombreuse » à la fin du remboursement des lunettes, de la baisse du nombre d’enseignants à la réforme hospitalière en passant par celle de l’indemnisation chômage, les dispositions annoncées par le gouvernement français vont dans un seul sens, sans déborder d’un iota de leur objectif : réduire les dépenses sociales. Le tout enrubanné d’un discours policé. Ainsi, il paraît que l’on doit désormais bannir du vocabulaire toute référence à la « carte hospitalière » (de très mauvaise réputation depuis le début des années 2000, car elle a servi de fer de lance aux fermetures de petits hôpitaux). M. Nicolas Sarkozy, qui a rendu publics, le 17 avril, les grands axes de la « réforme », préfère parler de « nouveau paysage hospitalier » - lequel comptera 200 hôpitaux de moins d’ici 2010. Même souci de forme chez M. Claude Evin, ancien ministre socialiste de la santé et fervent partisan de ce nouveau tour de vis dans lequel il ne voit que « mutations en douceur » - expression plus appropriée, assure-t-il, que « fermetures ». Maternités locales et hôpitaux de proximité disparaîtront donc... mais sans brutalité. D’ores et déjà, on voit se profiler des « déserts médicaux » (il faut parfois faire 80 ou 100 km pour accoucher, par exemple), tandis que les grands centres hospitaliers aux plateaux techniques de pointe sont encombrés pour des soins banals. Le projet présidentiel confirme une réorganisation en réseau, dont le principe aurait pu être intéressant s’il n’offrait un partage démesurément favorable aux cliniques privées (qui prendront plus en charge la chirurgie et la médecine programmées - plus rentables -, et laisseront au secteur public les pathologies lourdes - plus coûteuses). Il prévoit également de donner tout pouvoir à un directeur unique (exit les médecins et les élus). Bien gérer avant de bien soigner, comme l’ont montré André Grimaldi, Thomas Papo et Jean-Paul Vernant. Or, les vrais problèmes de l’hôpital public - un manque de médecins (avec le numerus clausus, on est passé à 2 500 formés par an contre 8 500 il y a vingt ans), une pénurie d’infirmières, l’organisation des urgences - sont renvoyés à des échéances indéterminées.... Autre secteur en ligne de mire : les prestations sociales. L’allocation familiale majorée pour les enfants de 11 ans est supprimée ; elle ne sera versée qu’à partir de 14 ans et augmentée de 60 euros. Le manque à gagner pour les ménages est évalué à 138 millions d’euros par la Caisse nationale des allocations familiales elle-même (CNAF). Dans le même esprit, le gouvernement avait planifié la suppression de la carte famille nombreuse de la SNCF, qui donne droit à des réductions, compensées par l’Etat, auprès du service public. Devant le tollé général, la décision est suspendue. Tout comme la proposition de la ministre de la Santé, Mme Roselyne Bachelot, de supprimer le remboursement des lunettes. Mais ce n’est que partie remise, alors que les dépenses d’optique font déjà partie des soins auxquels renoncent les familles, faute de moyens (1). Le candidat Sarkozy n’hésitait d’ailleurs pas à décréter qu’il fallait « porter les remboursements des lunettes à 50 % »... Les chômeurs sont également dans le collimateur. Tout demandeur d’emploi étant par définition suspect, le gouvernement vient de décréter que toute personne refusant plus de deux fois une « offre valable d’ emploi » verrait ses indemnités réduites ou même supprimées. Nul ne sait qui définit ce qui est « valable », mais tout le monde sent bien que cela accélèrera la sortie des statistiques - du meilleur effet politique. Il faut quand même rappeler qu’aujourd’hui un demandeur d’emploi sur deux n’est pas indemnisé. Théoriquement, les négociations sur ces questions entre le patronat et les syndicats doivent s’ouvrir dans les prochaines semaines, mais le gouvernement a déjà défini ce que doit être le résultat. Avec le même sens de la démocratie, il a décidé que les négociations sur les retraites, qui devraient être bouclées d’ici août, devaient aboutir à une augmentation du temps de cotisation (41 ans au lieu de 40). D’ores et déjà, quatre retraités sur dix ne peuvent avoir une pension complète, selon la Confédération générale du travail (CGT). Autre cible : la fonction publique et les services qui lui sont attachés. Dans l’enseignement, 11 200 postes d’enseignants sont supprimés, dont 8 000 dans le secondaire. Ce sont les élèves - et notamment ceux des lycées professionnels - qui sont montés au créneau pour défendre « un enseignement de qualité ». Et pour cause : en moyenne, les classes comptent déjà 27,8 élèves, et même 31 pour les classes de seconde. Certes, les moyens humains ne font pas tout, mais ils demeurent essentiels pour mener des projets pédagogiques novateurs et aider réellement les élèves. Plus généralement, le gouvernement veut ne remplacer qu’un fonctionnaire de l’Etat sur deux partant à la retraite d’ici 2011. Cela signifie moins d’enseignants, d’agents de l’équipement, de policiers, de soignants... Cette cure d’amaigrissement serait indispensable en raison des déficits budgétaires - effectivement colossaux. D’autant qu’ils ont été gonflés par les cadeaux fiscaux, souvent versés aux plus riches (bouclier fiscal, réduction des tranches d’impôt, etc. ), qui atteignent 15 milliards d’euros depuis l’arrivée de M. Sarkozy à l’Elysée. A comparer avec les 7 milliards d’économies réalisées sur le dos des services publics. Qui a dit que M. Sarkozy manquait de cohérence ? Martine Bulard (1) Lire l’Enquête Santé Protection Sociale 2006 de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes).
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