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RÉSEAU SOCIAL SOLIDAIRE

Prisons : Journée portes ouvertes

Source : Webxclusion / 22 décembre 2006

Quoi de plus class que de pouvoir inscrire - Ancien interne de l’administration pénitentiaire - sur une plaque de cuivre en bas de chez toi ?

Mais je ne veux tuer personne, objecteras-tu ! Qui te le demande ? Crois-tu qu’il faille être président d’association, dirigeant d’Elf-Aquitaine ou avoir été ministre de la santé pour prétendre aller en prison ?

Tu n’y es pas du tout. Nous sommes en France, il est donc très facile d’aller en taule sans massacrer la moitié d’une école. Un accident de voiture peut suffire.

Ou alors oublier de payer la pension alimentaire à ton ex. Ou bien te planter dans tes comptes et faire quelques chèques sans provision. Ou encore faire faillite avec ton épicerie de quartier. Parfois, il suffit d’un voisin jaloux, ou tout simplement que le hasard ne t’ait pas à la bonne... Comme tu vois, il est très facile d’aller en prison, surtout si tu as la chance d’avoir le teint mat ou un accent "étrange", auquel cas il suffit d’oublier tes papiers avant de sortir.

D’ailleurs l’administration Européenne et des organisations non gouvernementales très respectables lorsqu’elles s’occupent de ce qui se passe chez les autres nous reprochent assez cette grande facilité d’accès.


Un séjour en prison ne s’improvise pas

Actuellement (1999), 40 % des détenus sont en préventive, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas encore été jugés et sont légalement innocents. Il y a une dizaine d’année, il y en avait un sur deux. A ce rythme-là, dans moins d’un demi-siècle, il faudra un motif valable pour aller en prison, alors dépêche-toi d’en profiter pendant que c’est encore facile.

Il y a en France, en arrondissant, 57000 taulards en permanence, pour 50000 places théoriques (un peu moins si on retire les cellules insalubres). Pourtant, on n’a jamais vu un écriteau annonçant "complet" à l’entrée d’une prison. Dans la réalité vraie, en maison d’arrêt on arrive facilement à faire tenir trois détenus par cellule. Et comme il ne sera pas dit que l’administration laissera quelqu’un sur le pavé, on rajoute un quatrième matelas par terre si on ne peut pas faire autrement (1).

Les maisons d’arrêt sont fréquemment installées dans d’anciens couvents ou monastères ayant été réquisitionnés par l’état lors de la dernière révolution (1789, pas 1968).

Comme très peu de travaux ont été faits depuis, les conditions d’hébergements peuvent parfois faire l’objet de critiques.

Toutes les maisons d’arrêt ne se valent pas. Il faut te renseigner à l’avance afin de choisir le lieu de ton arrestation. Michelin prépare actuellement un guide des meilleurs commissariats, gendarmeries et maisons d’arrêt. En attendant sa parution, ne pas hésiter à poser des questions à ton entourage.

En maison d’arrêt, la durée moyenne de détention est légèrement inférieure à six mois, et six mois, c’est vite passé. Mais pas toujours. Un séjour en prison ne s’improvise pas, il faut te préparer si tu ne veux pas que l’affaire tourne mal. Notamment prévoir un peu d’argent car en prison tout se paie, pas seulement sa dette envers la société.

Etre taulard sans avoir d’argent est fortement déconseillé

C’est pourquoi il vaut mieux commencer ton apprentissage de l’exclusion par la prison. Y venir plus tard, une fois officiellement exclu et sans un rond, peut être très préjudiciable à l’idée que tu te fais de la dignité.

Ne compte pas sur une aide de l’état du genre ASSEDIC ou RMI, ça n’existe pas en cellule, il faudra te débrouiller autrement. Ne compte pas non plus y travailler pour te faire un petit pécule.

D’une part, en maison d’arrêt, il n’y a pratiquement que le travail dit de service général (cuisine, ménage des couloirs, bibliothèque...) et les places sont rares, une vingtaine pour une taule standard de 300 assassins. Ce travail est très mal rémunéré, et si tu parvenais à gratter 800 balles par mois, ce serait bien beau et tu ferais des jaloux, ce qui est dangereux dans ce milieu.

D’autre part, il y a parfois la possibilité de travailler en cellule mais la surpopulation fait disparaître cette solution. De toute façon, être payé quelques centimes (de francs) par pièce assemblée ne te mènerait pas bien loin.

Il n’y a qu’en centrale qu’il est possible de tutoyer le SMIC, mais cela sort de ce qui nous intéresse ici (2).

Certes, en prison loyer, gaz et nourriture sont pris en charge par l’Etat. Mais il faut payer la télé, qui est louée à des sociétés externes. Pour avoir une idée des tarifs, va par exemple chez Locatel et demande-leur combien ils facturent une location mensuelle, puis multiplie ensuite le chiffre par deux ou trois pour être près de la vérité (3).

N’espère pas non plus disposer d’une cellule sans télé pour faire des économies, c’est télé pour tout le monde. Pour une excellente raison : depuis qu’elles sont installées, les taulards sont bien plus abrutis par le matraquage télévisuel que par le plus agressif des gardiens. C’est facile à comprendre : regarde l’effet produit par 3 heures de télé par jour, moyenne nationale, et imagine ce que peut donner l’exposition à plus de 14 heures quotidiennes de TF1, 7 jours sur 7...

Si tu n’as pas d’argent, il va falloir payer la télé autrement. Ne tenant pas à être censuré par mon fournisseur d’accès Internet préféré, je te laisse imaginer les diverses ouvertures possibles, si je puis m’exprimer ainsi...

Logiquement, la télé devrait être payée par l’administration pénitentiaire. Sans l’anesthésie qu’elle provoque, la surpopulation carcérale serait ingérable et obligerait à construire de nouvelles prisons et à embaucher du surveillant à pleins fourgons.

Tu peux bien sûr te faire envoyer des mandats, mais quel intérêt pour quelqu’un qui ambitionne de devenir exclu ?

L’administration prélève automatiquement des provisions sur tous les revenus dont tu pourrais disposer, d’une part pour rembourser les probables amendes qui te collent au train ou dédommager d’éventuelles victimes, d’autre part pour constituer un pécule destiné à faciliter ta sortie.

Les occasions de dépenser de l’argent sont nombreuses en cellule.

Si, par exemple, tu veux améliorer l’ordinaire en buvant un café après chaque repas, pas de problème. Il suffit de cantiner, c’est-à-dire commander auprès des gardiens un paquet de café et un kilo de sucre et à te débrouiller pour la tasse et la petite cuillère. Le prix demandé varie fortement d’une prison à l’autre, les gardiens étant libres de faire les courses où ils veulent. A voir les tarifs pratiqués, il serait étonnant qu’ils se fournissent en grande surface (4). Si l’eau du robinet n’est pas assez chaude pour le café, il faudra te bricoler un "toto", astucieuse application des lois de l’électricité malheureusement mal supportée par les fusibles.

Le tabac revient aussi très cher, que tu sois fumeur ou non. En cellule, tu n’as pas d’argent dans la poche, tu as du tabac. Si ton codétenu te demande un café, il paie en tabac. Si tu demandes un service à quelqu’un, tu l’échanges contre du tabac. C’est la monnaie locale, et il vaut mieux en avoir toujours sur soi, ne serait-ce que pour calmer les ardeurs d’un voisin de cellule au sang chaud. Sans argent, pas de tabac. Sans tabac, c’est à tes risques et périls.

L’administration fournit aux indigents un savon, un rouleau de papier cul et un paquet de rasoirs jetables. Une fois ce viatique épuisé, il te faudra cantiner. Par chance ou par manque d’installation, la douche n’est obligatoire que tous les quinze jours. Les conséquences sur l’odeur des cellules surpeuplées ne sont pas aussi dramatiques qu’on pourrait le craindre et au bout de quelques jours on ne sent plus rien.

La vie quotidienne du taulard nécessite quelques connaissances préalables.

Puisque tu ambitionnes de devenir prévenu, autant être prévenu que l’accès à la prison ne se fera pas sans quelques concessions. Par exemple, la fouille réglementaire que tout détenu subit comprend également la visite de l’anus. Même si cette opération est faite avec doigté, elle surprend toujours un peu la première fois. Et elle sera effectuée à chaque fois que tu auras eu un contact avec quelqu’un de l’extérieur, visiteur ou avocat, par exemple.

Tu auras probablement l’occasion de voir des gars s’effondrer psychologiquement. Observer un vrai dur de quarante ans pleurer comme un enfant est une expérience intéressante. Il serait étonnant que tu n’y passes pas toi aussi, cela t’aidera à comprendre le pourquoi. En général, cela ne porte pas à conséquences. Profites’en donc pour réfléchir sur les notions d’humanité, de justice et de dignité. Sauf si tu es d’un naturel dépressif bien sûr.

Le fait de vivre 22 ou 23 heures sur 24 à deux ou trois, parfois quatre, dans 9 mètres carré, surface moyenne d’une cellule, peut générer des problèmes. 9 mètres carrés, pour te donner une idée, c’est la surface d’une honnête place de parking.

La 24ème heure se passe obligatoirement en promenade, à tourner en rond dans une cour recouverte d’un filet métallique anti-hélicoptère et surveillée par des miradors pour assurer ta sécurité. C’est là que tu fais du commerce avec tes amis et te fais dépouiller par les autres. Pendant ce temps, les surveillants fouillent ta cellule.

Dans ces 9 mètres carrés de cellule, on trouve trois lits, un lavabo, une table, trois tabourets, une télé, un chiotte "à ciel ouvert", un radiateur et trois fois 70kg de détenus avec affaires personnelles. Essaie de faire tenir tout ça sur une place de parking et tu auras plus de respect pour l’administration pénitentiaire. La fenêtre minuscule est en hauteur et généreusement pourvue en solides barres d’acier.

La porte est recouverte d’un blindage métallique. Le sol est en ciment brut. La peinture du béton mural est pisseuse, quelle que soit sa couleur d’origine. Les lits et couchages sont de type militaire superposable. Seule touche de tendresse, le lavabo est blanc.

Le chiotte à ciel ouvert consiste en un chiotte parfois entouré d’un muret d’un mètre de hauteur maximum. Il permet aux gardiens de surveiller l’ensemble de la cellule d’un seul coup d’oeil par le judas de la porte et à tes codétenus de partager ton intimité. Le nouvel arrivant en sera constipé pendant quelques jours mais finira par se soumettre.

La lumière est commandée par les surveillants. En règle générale, le réveil à lieu entre 6 et 7 heures, et l’extinction des feux et des télés vers 23 heures.

Le seul interrupteur installé dans la cellule permet d’appeler les surveillants en cas d’urgence. Il est recommandé d’en user avec parcimonie, ni la disponibilité ni l’humour ne faisant partie de la formation des gardiens.

Lorsque tu es embastillé, la privation de liberté n’est pas le plus dur à supporter. Ni les diverses atteintes à ce qu’il te reste de dignité. La véritable peine c’est le bruit. Métallique pour les portes, les grilles, les clés. Bovin pour tous les déplacements en troupeaux dans les couloirs et les escaliers. Rythmé lorsque les surveillants sondent à la matraque la résistance des barreaux de chaque fenêtre pendant la promenade. Incohérent lorsque 100 télés fonctionnent avec 50 postes de radio. Abrutissant quand 300 personnes vivent entassés dans quelques mètres carrés. Le restant de ta vie en sera changé.

Pire, toute ton attention est focalisée sur ce bruit. Parce que c’est la principale source d’information à ta disposition. Le bruit t’indique l’heure des repas, de la douche, de la promenade. Tu essaies de deviner quelle cellule vient de s’ouvrir et pour quel motif. Tu guettes la position des surveillants, des détenus chargés du ménage ou de la distribution de livres. Tu attrapes vite une oreille de concierge dont tu ne pourras plus jamais te débarrasser.

Si tu peux te le permettre, évite de recevoir des visites au parloir. La promiscuité, les voix et les parfums de femmes, les pleurs et les rires d’enfants, les odeurs de l’extérieur en ont fait craquer plus d’un, autrement plus solides que toi.

Conseils utiles

Le coiffeur est gratuit, n’hésite pas à demander. Sauf si tu n’as pas de tabac, ou si le détenu chargé du "salon" est maçon dans le civil bien sûr. Le matériel, tabouret et tondeuse, est installé dans une cage de fouille.

Tu peux cantiner de la bière sans problème. On ne livre que de la sans alcool, mais les combines permettant de remédier à cette caractéristique sont nombreuses et on te renseignera rapidement. Attention toutefois à bien connaître tes voisins de cellule, certains ayant la cuite méchante.

Pour compenser, il y a les médocs. Exige de voir le toubib dès ton arrivée, la consommation est encouragée par l’administration qui y trouve un moyen efficace d’assurer le calme dans les cellules. En les stockant et en testant divers mélanges, tu peux espérer obtenir des effets intéressant, mais ça ne marche pas à tous les coups.

Ne crois pas tout ce qu’on raconte à propos des suicides de détenus. Moins d’une centaine par an, ils ont lieu essentiellement les tout premiers jours d’incarcération et aux abords du procès. Bourre-toi de médocs pendant ces périodes et tout ira bien.

N’aie pas peur non plus de la violence entre détenus, il n’y a pas tant de morts violentes que ça en cellule. Les blessures ne sont pas comptabilisées, bien sûr, parce que les gardiens ne peuvent jamais déterminer si la victime ne s’est pas auto-mutilée. Méfie-toi quand même des cellules, escaliers, couloirs, douches et cour de promenade.

Les agressions sexuelles entre détenus ne doivent pas t’inquiéter. Compte tenu qu’il n’y a que trois personnes par cellules, même si ça tournait mal pour toi ce serait vite passé. De plus, le nombre de viols reconnus pas l’administration pénitentiaire et ayant donné lieu à des poursuites est vraiment dérisoire. Quant aux agressions provenant des gardiens, elles se concentrent généralement sur les travestis.

Les malades mentaux n’ayant pas leur place en prison peuvent être dangereux, mais leurs crises ne durent jamais bien longtemps. N’hésite pas à frapper le premier. Les surveillants connaissent leurs clients et le plus souvent tu n’auras pas d’ennuis pour ça.

Dans toutes les maisons d’arrêts, il y a des possibilités de faire rentrer de la drogue. N’oublie pas que tu n’es pas un taulard comme les autres, tu es en train de suivre une formation pour devenir exclu. La drogue est certes une très bonne façon d’y parvenir, mais pour un novice, il vaut mieux éviter de suivre deux pistes en même temps. Tu pourras toujours y venir une fois que tu seras libéré. Et puis le tarif de la barrette dans la cour de promenade n’est pas raisonnable.

Jusqu’à ces derniers temps, il était possible de faire des affaires avec les surveillants. Des imprudences ayant été commises, renseigne-toi avant de tenter le coup.

Sauf provocation, tu n’as rien à redouter des surveillants. La définition de la provocation n’ayant pas encore été portée à la connaissance du personnel, il vaut mieux rester prudent et limiter les contacts au maximum.

La qualité de la nourriture n’est pas un motif suffisant pour vouloir faire un stage en maison d’arrêt. Avec quelques francs pour trois repas par jour et par personne, l’administration ne peut pas faire de miracle. D’où l’importance de pouvoir cantiner pour améliorer l’ordinaire.

A propos de repas : il n’existe aucun réfectoire dans aucune prison française. Tous les repas se prennent tièdes et en cellule. Arrête un peu de confondre réalité et cinéma hollywoodien.

Met ton séjour à profit

Puisque tu veux devenir exclu, commence à t’habituer à demander des aides gratuites. L’avocat qui assurera ta défense, par exemple.

Il suffit d’être fauché pour qu’on t’en fournisse un gratuitement. Bien sûr, pour ce prix, ne t’attends pas à un miracle, mais ça ne se verra pas. Tu as droit à être représenté par un avocat, ne prétends pas en plus vouloir être défendu, il faut savoir être raisonnable. Comme il serait exceptionnel que tu le rencontres plus d’une fois avant le jugement, ça n’a pas vraiment d’importance.

Lorsque ton procès arrivera, pense à te faire le plus beau possible. Cela n’a aucune influence sur le juge, mais il faut garder sa dignité.

En fait, le verdict est parfois (souvent ?) déjà rédigé. Les magistrats n’ayant pas le temps d’examiner chaque affaire, c’est le secrétariat qui fait tourner la boutique. Chaque tribunal possède donc son barème standard, différent d’une cour à l’autre. Il convient de te renseigner sur le tarif de base avant de te faire alpaguer par les poulets.

La formalité du procès est rapide, moins d’un quart d’heure par personne. Dans plus de la moitié des cas, tu seras condamné à une peine légèrement supérieure à la durée de ta détention préventive, ce qui ne doit rien au hasard et encore moins à la justice. Compte tenu des remises de peine, tu sortiras donc quelques semaines après ton procès.

Attention quand même. L’augmentation régulière du nombre de détenus vient de l’alourdissement sensible des peines, pas d’une augmentation du nombre d’affaires jugées. En gros, le tarif a doublé en 25 ans et actuellement 40 % des détenus se prend plus de cinq ans dans la vue. Ce qui fait passer la moyenne à 3 ou 4 ans au frais, et ça n’a rien de drôle. Après un tel séjour, tu serais irrécupérable pour l’exclusion et tout juste bon à devenir délinquant pour de vrai.

Passé l’épreuve du trapèze (le procès), le moment est venu de penser à assurer ton avenir d’exclu. Bientôt, tu auras droit à l’étiquette - Ancien Taulard -, et il faut te préparer à une nouvelle vie pleine d’aventures et de rebondissements. Demande à être reçu par quelqu’un du service social. En principe c’est automatique, mais ils sont tellement débordés qu’il y a de fortes chances qu’ils t’aient oublié.

Un exclu n’a pas d’attache et doit pouvoir changer fréquemment de région : demande un billet de train. Prépare une histoire comme quoi tu dois absolument aller à l’autre bout du pays si tu veux avoir une chance de refaire ta vie. Ce sera accordé, ils sont trop contents de te voir quitter le secteur. Choisis une ville au bord de la mer, des vacances ne te feront pas de mal au teint.

Presque toutes les villes ont des services réservés à l’assistance aux personnes récemment libérées de prison. Tu devrais assez facilement obtenir un hébergement pour quelques mois, ce qui te laissera le temps de réfléchir à la meilleure façon d’étrenner ton nouveau statut d’ex-bagnard.

Il te faudra bien ça pour perdre toutes les habitudes qui t’ont imprégnées pendant ces quelques mois passés à l’ombre. Et réapprendre à fermer toi-même ta porte à clé.

Dernière heure : un livre s’évade de la prison de la Santé.

Un livre a réussi à s’échapper de prison et l’évasion a fait du bruit jusqu’à Landerneau. En entendre parler c’est bien, le lire c’est mieux. Pub gratuite : "Médecin chef à la prison de la Santé" de Véronique Vasseur, Cherche-Midi Editeur, 98 balles. Pour 200 pages c’est cher, mais ça fera bien dans ta bibliothèque. Si en plus tu le lis, tu comprendras pourquoi la France se classe entre la Grèce et la Turquie dans le domaine carcéral.

Si le débat qui semble s’engager permet de faire avancer le schmilblick, bravo la miss ! D’autres avant elle ont essayé et sont passés discrètement à la trappe. Mais qui sait ? Peut-être que cette fois, parce que c’est écrit par une femme, parce que c’est écrit par un toubib, parce que c’est écrit par un chef, parce que le moment est venu, parce que la situation dépasse vraiment trop les bornes...

Message perso de l’auteur de ce site à l’auteure de ce livre : merci d’avoir essayé.

Post scriptum : les sénateurs et les députés se sont sentis obligés de réagir au bruit de fond médiatique ayant accompagné la sortie du bouquin. Les résultats sont disponibles sur les sites du Sénat (5) et de l’Assemblée Nationale. Si la question t’intéresse, ça vaut le coup de patienter pendant le chargement. C’est autrement instructif et clairement exprimé que ce que la presse en a repris. Donc, on a deux dossiers remplis de constatations et de propositions. Et maintenant, ils en font quoi, sénateurs et députés, de cet excellent travail ?

Réponse le 11 décembre 2000 : le Sénat refuse de voter le budget de la justice. Suite de la réponse en décembre 2001 : les députés détricotent leur loi sur la présomption d’innocence. Fin de la réponse en mars 2002 : la loi pénitentiaire est enterrée sans honneur. Message perso de l’auteur de ce site aux auteurs de ces rapports : lâches !

Quant à la miss Vasseur, elle a quitté la Santé et collabore aux travaux de l’Observatoire International des Prisons.

Post-Scriptum adjoint : un webzine propose des éléments de réflexions sur la prison.

Post-scriptum assistant : un autre webzine, une autre approche (nouveau dossier en août 2001).

(1) : avant Tonton 1er (construction de + de 10 000 places), c’était la même chose. Aujourd’hui, il y a certes plus de capacité d’accueil mais les peines sont plus longues, ce qui maintient la surpopulation à son rythme habituel.

Mizajour novembre 2002 : bien des choses ont changées dans ce domaine. Les derniers chiffres (d’après Libé du 02/11/2002) indiquent 45 000 places réelles (47 000 après entassement "normal" dans les cellules individuelles) pour 53 680 détenus au 1er octobre 2002. L’article met aussi l’accent sur l’amplitude des variations auquelles l’administration pénitentiaire doit faire face : 50 000 taulards en février 2002, 57 000 en juillet 2002 ! Quant au nombre de places, l’annonce de la construction de 13 200 nouvelles places d’ici à 2007 (la droite ne saurait faire moins que la gauche en ce domaine...) ne doit pas faire illusion : plusieurs prisons doivent être détruites pour cause de délabrement avancé, d’humiliation républicaine et autres condamnations européennes. La prison est bien une affaire de murs : on va droit dedans et, curieusement, la magistrature n’a pas vraiment d’idée là-dessus...

Mizajour juin 2003 : au 1er juin 2003, c’est 60 153 détenus qui s’entassent dans 47 000 places (Libé 10/06/03)... C’est la première fois qu’il y a autant de détenus dans toute l’histoire de France. Pire : il faut préciser que parmi les 185 établissements pénitentiaires français, seules les 117 maisons d’arrêt peuvent fonctionner en sureffectif (la loi autorise un sureffectif à condition qu’il soit exceptionnel...). Un rapide coup de calculette montre qu’en moyenne chaque maison d’arrêt doit rouler avec 111 détenus de surcharge. En pratique, nombres d’entre elles sont aujourd’hui au-delà de 200% d’occupation. Le personnel multiplie les appels au secours. Les détenus, prévenus et courtes peines pour l’essentiel, morflent salement. On est en pleine folie. L’OIP invite d’ailleurs les détenus de maisons d’arrêt à porter plainte devant la cour européenne de justice pour traitements inhumains (c’est peut-être un peu court, et l’OIP pourrait aussi faire son boulot d’information du Dehors avec plus d’ardeur...).

Avec 3 ou 4 détenus par cellule individuelle de 9 mètres carrés en moyenne, on est incontestablement dans l’élevage intensif et les notions de détention préventive, de courte peine ou de réinsertion deviennent complètement hors-sujet. Et ce sont les présumés innocents et les condamnés pour petits délits qui subissent ces conditions de détention intolérables dans une démocratie. Chaque année, plus de 60 000 détenus sont libérés (c’est moins que les incarcérations, d’où l’inflation des effectifs). Combien parmi ces 60 000 fraichement libérés estimeront avoir des comptes à régler avec la société pour les mauvais traitements subis ? On fabrique des fauves à plein rendement. Délibérément ? La question fait son bonhomme de chemin...

Nota bene : penser à rayer Liberté-Egalité-Fraternité du fronton des mairies.

Plus d’infos et pour rester au courant : http://prison.eu.org

(2) : pour tout comprendre entre maison d’arrêt, centrale et autres établissements de détention, consultez le site Prison : mode d’emploi réalisé par un surveillant de prison. Voir aussi le site associatif Exit.

(3) : un livre blanc, rédigé par un syndicat de surveillants, mentionne qu’il ne serait pas impossible qu’il existe parfois quelque chose ressemblant à une éventuelle magouille au sujet des locations de télés( les sénateurs sont plus diplomates).

(4) : le même livre blanc (note 3) laisse entendre qu’il ne serait pas impossible qu’il existe parfois quelque chose ressemblant à une éventuelle magouille au sujet des achats de cantine (voir le rapport des sénateurs, toujours aussi diplomates)

(5) : si tu es pressé, des copies de l’intro ( plaisante à relire fin 2001...) et du sommaire sont à ta disposition sur Web’xclusion. Tu peux aussi récupérer le rapport des sénateurs (version pour Acrobat Reader, 0.7 mégas) dont une copie est à ta disposition sur ce site.

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