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RÉSEAU SOCIAL SOLIDAIRE

Chômage, des secrets bien gardés

De Fabienne Brutus, éditeur Jean-Claude Gawsewitch

Source : Actuchomage / 17 septembre 2006

Fabienne BRUTUS est conseillère à l’emploi. Elle vient de publier Chômage, des secrets bien gardés, véritable "caillou dans la chaussure" de l’ANPE où elle met cartes sur table pour parler des réalités de son métier, sans hésiter à contredire les propos éternellement optimistes de son directeur général Christian Charpy, ainsi que les annonces ô combien mensongères du gouvernement.

Ce qui intéresse Fabienne, c’est de dire la vérité, peu importe ce qu’il doit lui en coûter.


Actuchomage : Depuis quand travaillez-vous à l’ANPE ? Est-ce un choix ?

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Fabienne Brutus

Fabienne BRUTUS : J’exerce comme conseillère à l’emploi depuis fin 2001. Je venais de connaître une période de chômage de plus d’un an. Je fréquentais l’ANPE de manière assez assidue. J’ai vu sur le site de l’agence un appel à concours. J’ai relevé le défi, presque comme un jeu. Je me disais, d’ailleurs, que mon expérience de chômeuse pouvait m’aider : je commençais à bien connaître les différentes prestations, propositions, les centres de formation, les partenaires... De fait, bon nombre de conseillers de ma "promotion" étaient eux aussi passés par la case chômage.

Actuchomage : Quel est le "déclic" qui vous a poussée à écrire ce livre ? Comment avez-vous choisi votre éditeur ?

Fabienne BRUTUS : Fin 2005, j’ai vu s’intensifier les pressions sur les chômeurs et dans le même temps, j’ai entendu le gouvernement se gargariser d’une supposée baisse du nombre de chômeurs. Mon boulot perdait progressivement de son intérêt, je devenais de plus en plus la courroie de transmission de décisions que j’estimais humainement injustes (refus de formation, proposition/"imposition" d’offres). La coupe a été pleine après un flash d’infos très optimiste quant à la baisse du chômage. J’ai laissé un message sur le répondeur de l’émission "Là-bas si j’y suis" sur France Inter. Après sa diffusion, Daniel Mermet a lancé un appel pour que je témoigne. Ce que j’ai fait, de manière anonyme à l’époque (la trouille !). Cette émission a déclenché un reportage sur Canal + (dans "90 minutes") et un contact avec les éditions Jean-Claude Gawsewitch. Ils ont proposé de publier mon livre. Je l’ai écrit très vite, comme pour crever l’abcès.

Actuchomage : Vous faites fi de l’omerta générale et des consignes de votre direction : quels sont les risques que vous encourez ? Avez-vous reçu des menaces ? Comment réagissent vos collègues ?

Fabienne BRUTUS : Je risque un blâme ou la révocation (licenciement). Des sanctions pénales peuvent même être envisagées. Mais pour l’instant rien ne se passe, je vais travailler comme d’habitude. La direction de l’ANPE ne communique pas. Elle se garde de tout commentaire, craignant sans doute une mauvaise publicité, du fait de l’impact médiatique. Elle a un temps essayé de me présenter comme une conseillère isolée, qui n’exprimerait qu’un avis personnel. Ce que dément la foule de témoignages de soutien que j’ai reçus, venant de conseillers et de chômeurs de toute la France !

Actuchomage : Selon vous, le chômage ne baisse pas et les chiffres sont truqués...

Fabienne BRUTUS : Les média reprennent en cœur le chiffres communiqués par le gouvernement. Ces chiffres ne se basent que sur la catégorie 1, oubliant les 7 autres. De deux millions et quelques, on passe à quatre. Et encore ! on ne compte là que ceux qui prennent la peine de s’inscrire, de pointer, de montrer régulièrement patte blanche, de "subir" (parfois) un suivi qui s’apparente plus à un flicage qu’à un accompagnement. Ceux qui ne perçoivent plus d’allocations ou qui n’en ont jamais perçu sont de moins en moins inscrits. Nous-mêmes, conseillers, nous les décourageons ! Les RMistes ne sont pas forcément inscrits non plus. Les jeunes, les vieux... La réalité du chômage n’est pas à 9%, mais plutôt à 19%. Il faudrait réussir à dénombrer aussi le travail précaire, l’intérim subi, le coup de fil du lundi pour le mardi, les contrats qui durent depuis 1 an sans qu’on sache jamais si on doit y retourner le lendemain...

Actuchomage : Qu’en est-il des radiations ?

Fabienne BRUTUS : On parle beaucoup des radiations-sanctions, pour non réponse à offres. C’est vrai qu’elles ont été facilitées par la loi dite "de cohésion sociale" (sic), mais elles ne sont pas le nœud du problème. Les radiations administratives recouvrent les non présentations à entretien, les abandons de pointage, les refus d’évaluation, de prestation... Les personnes en fin de droits qui "tombent " dans le RMI n’ont pas été radiées pour manquement aux devoirs du demandeur d’emploi, mais pour ras le bol de pointer pour des prunes... Elles se sont en quelque sorte "radiées elles-mêmes", n’ayant pas d’intérêt à rester inscrites. A propos des radiations, il faut savoir que les "GL" (pour "Gestion de la Liste", signifiant radiation) devraient toujours être envoyées en recommandé. C’est rarement le cas. Du boulot en perspective pour les associations de défense des chômeurs ! Régulièrement, je donne les coordonnées de ces assos à des gens qui se plaignent d’avoir été injustement radiés. Je ne connais jamais l’issue. Je crains que les chômeurs n’osent pas. Ces assos ont besoin d’énergies, de soutien.

Actuchomage : Christian Charpy a pourtant annoncé une hausse de 8% des offres d’emplois en 2005 : est-ce exact ?

Fabienne BRUTUS : Probablement... si on considère que 3 millions d’offres sont saisies tous les ans à l’ANPE... Un contrat de 2 jours compte pour une offre, c’est dire ! Un contrat de 4 heures, aussi... A ce rythme-là, on peut bien annoncer une hausse de 15 ou 132% !!! Un de mes collègues me citait récemment cette phrase "Vous vous accrochez aux chiffres comme un ivrogne à son réverbère, non pas pour être éclairé mais pour tenir debout"...

Actuchomage : Selon vous, quel est notre taux de chômage réel ?

Fabienne BRUTUS : 19% de la population est sur la touche, toutes catégories confondues et incluant les non-inscrits. 5 millions de personnes en France n’ont pas un emploi réel, pourvu d’un minimum de stabilité et de salaire.

Actuchomage : Peut-on se reconvertir professionnellement aujourd’hui par le biais du service public de l’emploi ?

Fabienne BRUTUS : C’est extraordinairement difficile, voire impossible. On pourrait le faire si les crédits alloués à la formation ne fondaient pas comme neige au soleil. Les conseillers n’essaient même plus de monter des dossiers de financement, bien conscients que c’est voué à l’échec. A part les programmes régionaux de formation (forcément disparates d’une région à l’autre et créateurs d’inégalités) et l’AFPA qui elle aussi se bagarre pour rester en vie, il ne subsiste que quelques formations financées par les Assedic. Uniquement dans les métiers "en tension" ou déclarés comme tels par les employeurs : maçon, cuisinier, serveur... Si on a d’autres aspirations, la plupart du temps c’est "râpé".

Actuchomage : A quoi sert l’ANPE aujourd’hui ?

Fabienne BRUTUS : C’est la question piège... Il nous arrive encore bien sûr, d’être utiles, de regonfler à bloc un chômeur qui perdait courage, de mettre face à face un chômeur et une offre... Mais trop rarement ! Souvent, à la place, on s’épuise à remplir des cases. On fait dans l’occupationnel. Et puis on contrôle...

Actuchomage : Décrivez-nous vos conditions de travail...

Fabienne BRUTUS : Le rythme est très soutenu (je sais, ça parait dingue mais c’est comme ça, et je sais de quoi je parle : j’ai travaillé dans la restauration rapide pour payer mes études). Mes horaires sont les suivants : 8h15 / 12h30 ; 13h15 / 16h30. Je travaille à temps partiel (80%). Mes collègues terminent plus tard. On est toujours sur la brèche : le coup de fil d’un employeur est prioritaire, il faut faire au mieux, même si ce n’est pas une entreprise de "notre" portefeuille, même si on est en train de bosser sur un autre dossier. C’est très difficile de trouver un moment pour avancer dans un domaine (se documenter, compulser des docs). Malgré cela, il s’agit de connaître le secteur, les métiers en rapport, les particularités du poste, les diplômes requis... En parallèle, trouver quelque chose d’utile à dire à ces gens qui défilent, qu’on a convoqués et à qui on ne peut souvent rien proposer.

Le sentiment d’impuissance est grand ; la schizophrénie règne. Certains conseillers souffrent du syndrome de Stockholm : pris en otages par les politiques coercitives de l’établissement, ils en viennent à penser qu’elles sont justes et anormalement décriées ! (Psychologiquement, c’est une fuite obligatoire pour certains). Ne mords pas la main qui te nourrit ! Ne crache pas dans la soupe ! Dans les manifs anti CPE, quelqu’un portait une pancarte "Crachez dans la soupe, elle est dégueulasse"...

Actuchomage : Vous avez 15% de précaires à l’ANPE : comment cela se fait-il ?

Fabienne BRUTUS : Comme partout ailleurs ; les économies avant tout ! Si on additionne les CDD, les agents temporaires, les ex-CES désormais CAE et contrats d’avenir, on a effectivement 15% de précaires. Et je ne compte pas les stagiaires, peu nombreux mais jamais rémunérés !

Actuchomage : Comment les salariés de l’ANPE considèrent-ils les chômeurs ?

Fabienne BRUTUS : Ils les considèrent, globalement, comme des êtres humains (c’est heureux !) mais certains n’hésitent pas pour autant à imposer des actions, à faire fi du choix personnel. Beaucoup oublient leur propre expérience de chômeur. Par contre, attention : "les salariés de l’ANPE", ça n’existe pas. Il y a autant de conseillers différents que de chômeurs ! On ne peut pas généraliser.

Actuchomage : Comment se comportent les entreprises qui font appel à l’ANPE ?

Fabienne BRUTUS : C’est pareil, les entrepreneurs sont des humains : il y en a de toutes sortes. Des gars (ou des femmes, d’ailleurs) sympas qui font leur boulot de citoyen, sortent des gars de la mouise en leur proposant du boulot, et d’affreux sales types qui ne pensent qu’à percevoir des primes juteuses et licencier sitôt les aides terminées. Les deux co-existent.

Actuchomage : Que pensez-vous des cabinets de recrutements, et du business du chômage ?

Fabienne BRUTUS : C’est très lucratif, le chômage. Pendant qu’on prive de leurs miettes des chômeurs pas assez corvéables, on rémunère grassement des gens qui vont les contraindre à reprendre une activité. Encore une fois, il ne faut pas jeter dans le même sac toutes ces boîtes. Il y en a, à taille humaine, de respectables. J’ai une dent contre les cabinets d’ "outplacement" (le vilain mot qui cache licenciement). Une de leurs branches suggèrent aux entreprises de délocaliser, ce qu’elles font, l’autre de reclasser les chômeurs qu’ils ont eux-mêmes envoyés à la rue. Je trouve ce concept révoltant.

Actuchomage : Selon vous, pourquoi la mobilisation des chômeurs est-elle toujours aussi faible ?

Fabienne BRUTUS : Probablement parce que "les chômeurs" ne sont pas un groupe homogène mais regroupent différents types de population. En plus, ce n’est pas simple de revendiquer son statut de chômeur pour faire avancer ses droits. Cela veut dire, se coller à soi-même une étiquette propre à faire fuir les patrons ! Peut-être les chômeurs croient-ils que c’est risqué. Le découragement doit jouer aussi pas mal. D’autres ignorent tout simplement que des assos existent.

Actuchomage : Selon le SNU, l’ANPE aurait un taux de syndiqués deux fois supérieur à la moyenne nationale (qui est à 8%) : qu’en pensez-vous ? Quelle est votre appréciation de l’action syndicale à l’Agence ?

Fabienne BRUTUS : C’est normal qu’on soit plus syndiqué qu’ailleurs : vu nos conditions de travail... Mais je déplore que beaucoup d’organisations syndicales ne se préoccupent aucunement du sort des chômeurs. Certes, il est important de veiller au sort des conseillers (il y a du boulot : stress, pressions, agressions), c’est le rôle des syndicats. Mais oublier que ces conditions de travail sont intimement liées aux conditions d’accompagnement des chômeurs, c’est presque indigne. En cela, certains syndicats n’ont de syndicat que le nom. Heureusement, ça commence à bouger avec le SMP (suivi mensuel personnalisé) qui pose souci aux deux types de public. Chômeurs et conseillers, même combat !

Propos recueillis par Sophie HANCART (courrier électronique)



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